3e dimanche de l'Avent, année B

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

La lecture de ce passage du livre d'Isaïe, repris d'ailleurs par Jésus pour inaugurer sa mission dans l'évangile de Luc, est une occasion on ne peut plus opportune de s'intéresser à cette institution sociale de l'antiquité juive qu'était l'année du Jubilé (bien faiblement traduite par « année de bienfaits » dans la traduction liturgique), institution d'une originalité, d'une profondeur de vue et d'une audace sociale sans comparaison depuis les 5000 ans d'histoire humaine (et reprise, mais dans un sens purement pénitentiel, par l'Eglise latine depuis 1300).

De quoi s'agit-il ? Avant l'instauration de cette institution (vers le 5°s. avant J-C) existait déjà le principe de l'année sabbatique suivant lequel chaque 7° année devait être une année de repos (d'une activité réduite au minimum), non seulement pour soi-même mais pour toute la communauté, y compris serviteurs, servantes et esclaves et même pour les animaux et aussi pour la terre. Quel formidable programme écologique, social et d'hygiène mentale ! Faire une pause dans le cycle de la production, de l'exploitation, non pas pour se laisser aller dans une ennuyeuse oisiveté mais pour se laisser être et laisser être les autres et toute la Création ! Se donner une occasion de ressourcement, se donner un temps pour se poser la question : qui suis-je ? qui crois-je être ? qui voudrais-je être ? mais aussi pour poser la question à ceux qui nous entoure ou que nous rencontrons : qui es-tu ? comme la pose l'évangile du jour. Prendre le temps de répondre à la question : « que dis-tu de toi-même ? » en ayant la sagesse et l'humilité de connaître sa place (comme Jean-Baptiste) ! Ce repos de soi, quand il est repos pour tous et pour toute la Création devient une expérience spirituelle, une union à Dieu, à un Dieu qui aurait à nouveau des raisons d'être heureux de sa Création.

Sur cette institution s'en est greffée une autre, l'année Jubilaire, son multiple. Après 7 x 7 années, donc la 50° année, Israël a estimé que la plus belle manière d'honorer Dieu pour sa Création, c'était de remettre de l'ordre dans l'Histoire des hommes. L'année jubilaire n'est pas, en son fond, une année de joie, de réjouissances ! C'est le pur hasard linguistique qui fait que le mot latin « jubilare » (qui signifie, lui, « être dans la joie ») est phonétiquement si proche du mot hébreu « yobel » (qui est la vraie origine du mot « jubilé »). Le « yobel » est le cor, la trompe qui annonçait l'ouverture de cette année socialement très particulière. Il s'agissait en effet de libérer tous les esclaves, de remettre toutes les dettes et de rentrer chacun dans son patrimoine. Ce n'est pas le lieu ici pour expliquer ou évaluer la manière concrète d'appliquer ces principes, ni si ou dans quelle mesure ils ont été appliqués. Ce qui nous importe, c'est de cerner l'intuition fondamentale : la volonté de donner à chaque génération l'occasion de repartir à neuf, comme si la Création repartait à zéro et repartait donc du point idéal : un état d'harmonie, d'égalité de tous les hommes devant Dieu. Sur une vie, il peut y avoir des malheurs, des injustices que l'on subit, des bêtises que l'on commet, des esclavages, des souffrances... mais dans le monde que voudrait Dieu pour l'homme, il n'y a rien d'irréversible, de définitivement incapacitant. Savoir que le mal subi peut avoir une fin et qu'il y aura moyen de repartir à neuf, bien plus qu'une consolation, quel espoir dynamisant cela peut-il donner ! On l'aura compris, les mesures sociales de l'année jubilaire ne sont pas là pour elles-mêmes (et ne conviendraient, comme telles, qu'à un contexte économique et social ultra-élémentaire), elle valent surtout comme signes concrets d'une dynamique d'espérance.
Puissions-nous, nous-mêmes, prendre le temps de nous poser la question : sommes-nous, par nos ½uvres, par notre être, porteurs d'espérance, d'avenir ouvert, préparant le chemin de Celui qui vient ?