Après un passage chez St Matthieu (l'Epiphanie avec les mages) puis chez St Jean (le signe de Cana), nous plongeons dans l'évangile de LUC que nous suivrons toute cette année. Nous écoutons d'abord le prologue de l'½uvre : en quelques lignes, Luc expose les raisons qui l'ont poussé à écrire, sa méthode et le but qu'il poursuit. Texte très important mais la place manque ici pour le commentaire car la scène racontée ensuite, répartie sur 2 dimanches, doit recueillir toute notre attention : elle a une importance fondamentale. Pour la 1ère fois, Jésus s'explique sur lui-même et sur sa mission.
UN DISCOURS PROGRAMME
Quelque temps auparavant, Jésus, charpentier à Nazareth, était parti pour écouter le prophète Jean et recevoir le baptême donné dans les eaux du Jourdain. Il avait vécu ce rite de toute son âme : "il priait" dit Luc. Or, à ce moment précis, il a fait une expérience singulière : l'Esprit de Dieu est descendu sur lui tandis qu'il entendait la voix de Dieu : "Tu es mon Fils bien-aimé : aujourd'hui je t'engendre". Bouleversé, Jésus s'est enfui dans le désert pour méditer cet appel : comment y répondre ? C'est alors que Jean a été arrêté et jeté en prison. Aussitôt Jésus a commencé sa mission itinérante, remontant vers la Galilée tout en prêchant et en accomplissant certaines guérisons. Et c'est ainsi qu'il revient un jour dans son village.
Jésus vint à Nazareth où il avait grandi. Comme il en avait l'habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat et il se leva pour faire la lecture. On lui présenta le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu' ils sont libres, et aux aveugles qu'il verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur."
Jésus a-t-il lu le passage prescrit par la liturgie de ce jour ou a-t-il délibérément choisi ce texte ? Toujours est-il qu'il s'y reconnaît, il se l'approprie et y voit décrit son programme d'action.
Il s'agit du début du chapitre 62 du rouleau attribué à Isaïe. Dans cette dernière partie (chap.56-66), due à un disciple appelé "le 3ème Isaïe", l'auteur fait parler un inconnu qui se présente et détaille sa mission. De qui s'agit-il ? Qui donc est ce " MOI " ?......
Jésus lève l'énigme, il annonce péremptoirement à l'assemblée que cette prophétie le désigne : C'est moi qui suis cet envoyé de Dieu. Lors de mon baptême, sans que personne s'en aperçoive, Dieu m'a adressé la Parole d'investiture royale telle que la rapportait le psaume 2 : ("Tu es mon Fils..."). Et l'Esprit de Dieu (c'est-à-dire la RUAH, le Souffle, l'Energie de Dieu) ne m'a pas seulement donné un élan passager comme aux prophètes de jadis mais il est demeuré sur moi. Désormais il m'habite, j'en suis comblé.
Consacré par l'onction de cet Esprit : je suis donc (en hébreu) MESSIAH, (en grec) CHRISTOS, (en français) MESSIE ou CHRIST.
Jésus ne serait-il devenu "Christ" qu'à son baptême ? Non : St Luc a pris soin de raconter l'Annonciation où il a précisé que Jésus, dès le sein maternel, était né de l'Esprit. Originellement il est, par l'Esprit-Saint, Fils de Dieu. Son baptême marque le moment où, après ses années de formation, son Père lui confère, par l'Esprit, son investiture : à partir de là, il peut et doit entreprendre sa mission. Laquelle ?
Il sera "le messie", le OINT à la manière dont l'annonçait le rouleau prophétique.
C'est la suite de l'Evangile qui nous montrera comment Jésus comprenait ce programme. Il sera le héraut des pauvres, il proclamera "Bienheureux les pauvres...". Toutefois il ne lancera pas des coups de main contre les prisons et même il n'interviendra pas pour en faire sortir Jean-Baptiste. Il guérira quelques aveugles mais pas tous. Il viendra "libérer" mais sans jamais combattre par la violence pour rendre l'indépendance à sa nation. Il ne correspondra pas à l'image apocalyptique tracée par Jean-Baptiste qui annonçait : " Il vient celui qui est plus fort que moi...Il a sa pelle à vanner pour nettoyer son aire...et il brûlera la balle au feu qui ne s'éteint pas" (3, 17). Il ne déclenchera pas la fin du monde ni ne rendra à tous santé et prospérité. Mais il fera tout pour faire sortir les hommes de l'emprisonnement du péché, libérer de l'aveuglement dû à l'égoïsme, à l'orgueil, à l'ambition, à l'avarice...
Mais alors que le texte d'Isaïe poursuivait : " ...et annoncer une année de vengeance de Dieu", Jésus y substitue : "Annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur". Toutes les 7ème et 50ème années étaient des années de "jubilé" : on devait laisser reposer la terre et libérer les esclaves (cf. Lévitique 25). Ainsi Jésus proclame qu'il vient en effet ouvrir un temps de grâce où Dieu va déployer les trésors de sa Miséricorde.
LE TYPE MÊME DE L'HOMELIE
Jésus referme le livre, le rend au servant et s'assied. Tous, dans la synagogue, ont les yeux fixés sur lui. Alors il se met à leur dire : " Cette Parole de l'Ecriture que vous venez d'entendre, c'est AUJOURD'HUI qu'elle s'accomplit"
Imaginez la stupeur de l'assemblée : non seulement Jésus s'identifie à ce "messie" d'Isaïe mais il affirme que l'heure est venue d'appliquer ce programme. AUJOURD'HUI : tout de suite - le mot scande tout l'évangile de Luc. La Parole de Dieu n'est ni enfermée dans le passé ni projetée dans un avenir indécis : elle est à vivre séance tenante. Aujourd'hui devient un "présent de Dieu" Jésus fait exactement ce que l'on appelle une HOMELIE : lire un passage d'Ecriture et proclamer la Bonne Nouvelle de son actualité. Il ne s'agit pas de faire un commentaire savant d'un vieux grimoire, ni un cours de théologie ou de morale, ni de réconforter un auditoire amorphe par des promesses d'un bonheur futur, mais d'assurer avec force que ce que Dieu a dit, il le fait. Et sur le champ.
Lorsque le MESSIE de Dieu, Jésus, est là, les Ecritures s'accomplissent. Pour et avec ceux qui écoutent. Car Jésus ne cherche pas des spectateurs de son action : il veut que "ceux qui écoutent" soient "ceux qui font" avec lui. Page à méditer par les prédicateurs. Et par toute communauté chrétienne : acceptons-nous ce programme de Jésus ? Est-ce qu'il trace les lignes de force de notre activité ? Il est vain de regretter le "bon temps de jadis" ou de nous rasséréner en escomptant des "temps meilleurs". AUJOURD'HUI les paroles de Jésus retentissent. AUJOURD'HUI son ½uvre de libération de l'homme s'accomplit.