4e dimanche de Carême, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

Il était difficile de trouver plus ponctuel que lui. Toujours à l'heure, jamais en retard. Comme s'il avait un annuaire de chemins de fer dans le cerveau. Et s'il le pouvait, il ferait encore tout pour être même un peu en avance. D'où mon étonnement de le voir systématiquement arriver quelques minutes après le début de la célébration dominicale. A l'heure pour les humains, en retard pour Dieu. Telle devait être sa devise. Poussé par une certaine curiosité, je lui demandai un jour la raison d'une telle attitude. Il me répondit très simplement que pour lui, la messe commençait vraiment avec les lectures, que le début de la célébration était ennuyeux, tellement répétitif avec cette phrase du kyrie : « Seigneur prends pitié », qu'il préférait arriver au moment où il pouvait commencer à se nourrir spirituellement. Je lui dédie alors cette homélie.

Pour comprendre le sens de ce que nous vivons à chaque célébration eucharistique en invoquant au début de celle-ci la tendresse et la miséricorde de Dieu par le chant du Kyrie, je nous invite à repartir des textes proposés par la liturgie de ce jour. Toutes et tous, dans le Christ, nous sommes appelés à devenir des filles et des fils de la Lumière. Voilà, l'espérance de Dieu pour sa création. Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu, écrivit il y a bien longtemps saint Irénée. Nous sommes toutes et tous, de par notre humanité inscrite en Dieu, invités à participer à la vie divine. Une vie de Lumière, une vie éclairée d'un Amour indicible. Telle est notre destinée. Elle s'offre à nous et se vit par l'ensemble des choix que nous posons chaque jour pour un peu plus nous accomplir, nous réaliser et nous rapprocher de la sorte de cette divinité inscrite au c½ur de notre humanité. Toutefois, pour vivre de la tendresse de Dieu, nous avons, nous aussi, à aller nous baigner dans la piscine de Siloé.

Sommes-nous finalement si différents de l'aveugle-né ? Je ne le pense pas. Nous avons également nos propres aveuglements. En effet, tant de choses peuvent nous aveugler et ce, qu'elles soient heureuses ou non. Ne dit-on pas que l'amour rend aveugle ? Même si certains affirmeront que le mariage rend la vue. Mais au-delà de cette dernière remarque perfide, je dois reconnaître que, dans la vie, il y a tant de choses qui peuvent participer à mon propre aveuglement : je peux, par exemple, subir l'influence du groupe auquel j'appartiens et qui peut m'empêcher de dire ce que je pense en vérité par peur d'être rejeté alors que les attitudes de ce même groupe sont peu respectueuses d'autres personnes. Je peux aussi être aveuglé par le rythme fou de la vie qui m'empêche de penser et donc de voir la réalité en face. La quête du pouvoir, la recherche effrénée de plaisirs immédiats, une volonté d'ignorance, une certaine routine, toutes ces attitudes peuvent également participer à notre aveuglement quotidien. Alors aujourd'hui Jésus, tout comme dans l'évangile, vient vers nous et nous invite à aller nous laver à la piscine de Siloé, c'est-à-dire à accepter d'entrer dans une démarche de « désaveuglement ».

Etre désaveuglés de tout ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes, être désaveuglés de toutes ces petites limites qui nous constituent et qui font partie intégrante de notre être. Ces limites sont d'une certaine manière tous nos petits travers, nos distractions, nos énervements, nos ronchonnements qui iront jusqu'à parfois faire sourire les autres de nous voir capables de nous encombrer l'esprit de tant de petits détails inutiles. Au fil de la vie, ils deviennent comme des écailles venant se placer sur nos yeux et peu à peu, ils nous aveuglent. D'une certaine façon, ils constituent les zones ténébreuses de notre c½ur, c'est-à-dire ce que nous repoussons dans nos coins intérieurs en essayant de les oublier. Ce sont tous ces petits faits et gestes, souvent anodins, qui traversent nos existences et qui nous encombrent.

Il ne s'agit pas comme tel des manques d'amour, appelés communément péchés, qui conduisent à nous exclure de l'Alliance avec Dieu et qui demandent de notre part un véritable chemin de réconciliation. Non, il s'agit plutôt de nos petits travers de tous les jours qui peuvent nous empoisonner l'existence et dont il est bon de se débarrasser de temps en temps en allant les déposer au pied de la Croix du Christ. Et c'est tout simplement cela que nous faisons chaque fois que nous célébrons l'eucharistie : nous invoquons la tendresse de Dieu pour que celui-ci nous désaveugle de nos limites personnelles afin que nous puissions nous ouvrir à l'intelligence de sa Parole. S'il en est vraiment ainsi, n'est-il pas dommageable pour sa propre foi de ne pas se donner ce temps de miséricorde avec Dieu. Que notre ponctualité nous permette à jamais de vivre ce moment de tendresse divine exprimée dans le Kyrie. Quant à nous, il ne nous reste qu'à aller nous plonger dans la piscine de Siloé pour nous désaveugler et entrer ainsi dans la Lumière promise. Amen