4e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

DIEU T'AIME TANT.......FAIS LA VÉRITÉ.

Curieusement l'évangile de ce jour commence ex abrupto : qui parle ? quand ? où ? On sait que Jean écrit son livre longtemps après les autres évangélistes (fin du 1er siècle). Avec ses communautés, il a bénéficié de la lumière de l'Esprit qui fait entrer dans la vérité tout entière (16, 13 ) ; il a pénétré plus loin dans le mystère de Jésus et il peut  parler de lui (et le faire parler) d'une façon toute nouvelle. Car la vérité ne gît pas dans une transcription exacte mais dans la signification qui actualise la révélation pour les lecteurs.
Jean met en scène l'affrontement de Jésus avec la mentalité pharisienne représentée par un certain Nicodème, notable de Jérusalem. Intrigué par ce Jésus inconnu qui vient de survenir dans la capitale et y a accompli des guérisons, Nicodème vient le trouver, la nuit venue, mais tout de suite, il est désarçonné. Pour entrer dans le Royaume de Dieu, lui assène Jésus, il n'est nul besoin de voir des miracles ou d'être en règle avec la Loi: il faut « renaître de l'Esprit ». « Comment cela peut-il se réaliser ? » demande le pharisien ébahi. L'évangile du jour est réponse à cette question.

De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé................
Libérés de l'esclavage en Egypte, les Hébreux, dans le désert, avaient, un jour, établi leur camp dans un lieu infesté de petits serpents à la morsure brûlante, parfois mortelle. Moïse ordonna de fixer une effigie de serpent de bronze en haut d'un bâton : le blessé qui viendrait le regarder serait guéri (Nombres 21, 8). Ainsi la Bible attribue à Moïse l'invention de ce symbole universel de l'art médical dont l'attraction était telle qu'il fut longtemps dressé dans le temple de Jérusalem. Mais comment un simple regard pouvait-il apporter la guérison ? 
Intrigué par ce procédé teinté de magie, quelques siècles plus tard, un professeur d'Ecritures tenta une explication :    « Ils furent effrayés mais ils avaient un gage de salut qui leur rappelait le commandement de la Loi. Quiconque se retournait était sauvé, non par l'objet regardé mais par Toi, Seigneur, le Sauveur de tous....Ils n'ont pas été soulagés par des herbes ou des pommades mais par la Parole du Seigneur qui guérit tout »  
(Livre de la Sagesse 16, 5-14). 
Pour ce théologien, les vraies plaies sont les péchés et, pour guérir, le croyant doit « se retourner » (c'est le verbe qui désigne la conversion), ne plus être épouvanté par le mal qui le fascine, le serpent qui rôde  pour le mordre, mais il doit « lever les yeux » vers le signe du serpent tué, et entendre là une Parole de guérison. Se retourner vers Dieu et obéir à sa Parole permet d'échapper à la tyrannie d'un mal qui serait tout-puissant. C'est la foi, le retournement obéissant vers Dieu qui rend la vie.

Les disciples de Jésus connaissent évidemment cet épisode et l'explication qu'on en donnait au catéchisme. Sidérés, ils comprennent que Jésus a accompli ce signe du serpent sur la croix !!!!!
Ainsi PAUL osera écrire (et on n'est qu'en l'an 56/57 !!)
« Nous vous en supplions : laissez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n'avait pas connu le péché (Jésus), il l'a, pour nous, identifié au péché afin que nous devenions justice de Dieu »      (2 Cor 5, 20-21).
En effet, Jésus a été jugé et condamné comme pécheur, blasphémateur ; sur la croix, il était comme le représentant du mal à exterminer. Caïphe était persuadé d'éliminer un « satan », « un serpent ». Or tout au contraire, Jésus était complètement innocent.  C'est pourquoi celui qui croit que Jésus s'est offert pour lui, est pardonné, est rendu juste. Il vit !

Plus tard, JEAN reprend dans la même ligne. Eclairé par la première explication donnée par le sage juif et par la formule audacieuse de Paul, il a compris la signification profonde, extraordinaire de la croix.
Pour les Romains, c'était un fait-divers (on crucifiait souvent) ;
pour les juges, c'était l'exécution d'un malfaiteur ;
pour les disciples, sur le moment, c'était l'échec, la fin d'un rêve ;
pour les Juifs et les Romains ensuite, la croix était la preuve évidente que Jésus ne pouvait absolument pas être un envoyé de Dieu ni encore moins le Sauveur.
Non, dit Jean, la croix entrait dans le projet de Dieu.
« Il fallait » la croix. Non que Dieu exigeât la mort atroce de son Fils afin d'apaiser son courroux ; non que le destin de Jésus fût tracé comme une issue inéluctable. Mais ainsi se réalisait ce que mystérieusement cherchait à exprimer l'humanité lorsqu'elle représentait le dieu de la médecine muni d'un bâton portant un serpent enroulé. Jésus, tordu sur le gibet, est le signe efficace du salut parce qu'il est signe non du summum de douleur mais sommet de l'amour  Alors même que les hommes, en exécutant un innocent, allaient jusqu'au bout de leur ignominie, lui, l'innocent, le Fils aimé de Dieu, allait jusqu'au bout de l'amour afin de sauver de la mort les hommes qui s'y précipitaient. Oui, dit Jean :

DIEU A TANT AIME LE MONDE qu'il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la Vie éternelle. Car Dieu a  envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui.
La croix n'est pas accident, fatalité, mais preuve d'amour et de pardon. Elle bascule les faux dieux monstrueux, les images des molochs avides de sang, les totems grimaçants élaborés par notre sur-moi. Elle reste le symbole éternel du « tant amour » de Dieu.
Lorsque l'homme s'écroule sous le poids de ses fautes, qu'il regarde la croix et l'agneau qui a pris sur lui son péché. Lorsque l'Eglise cherche la prestance, l'honneur, la gloriole, qu'elle lève les yeux sur son Sauveur « élevé » sur le gibet et elle comprendra que sa grandeur ne vient que de sa persécution.

LE JUGEMENT - LE CHEMIN DE LA FOI

« Le jugement, le voici : quand la Lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la Lumière parce que leurs ½uvres étaient mauvaises. En effet tout homme qui fait le mal déteste la lumière, il ne vient pas à la lumière de peur que ses ½uvres ne lui soient reprochées. Mais celui qui fait la vérité (changer la traduction) vient à la lumière, de sorte que ses ½uvres sont reconnues comme des ½uvres de Dieu ».
Ce n'est pas Dieu qui nous juge selon que nous avons ou non observé un code de lois ou pratiqué des rites.  C'est l'homme qui se juge lui-même par ses actes. S'il opte pour le mal, s'il cherche son bien propre en faisant mal à l'autre, si ses désirs restent autocentrés, il s'enfonce peu à peu dans la nuit. Car le mal voulu rend aveugle.
Par contre s'IL FAIT LA VERITE (magnifique expression - très rare dans la Bible), c.à.d. s'il travaille non à réfléchir à la vérité, non à la penser, non à raisonner....mais à FAIRE LA VERITE, alors peu à peu il sortira de ses ténèbres si opaques soient-elles. L'acte bon rend lucide. En refusant l'accomplissement de son ego, en entrant dans le chemin du service, de la solidarité, du pardon, de l'oubli de soi, il percevra la lumière qui jaillit de la croix. En perdant sa vie pour l'autre, il comprendra l'Evangile, il lèvera les yeux sur le Crucifié.

Et Nicodème, sans comprendre, sortit en silence. Mais Jean signalera son itinéraire.
L'année suivante, lorsque le grand Tribunal décidera d'arrêter Jésus, il osera se lever : il demandera justice et écoute de Jésus avant de le condamner sans preuve. Il sera conspué par ses confrères (7, 50)
N'ayant pu arrêter le complot contre Jésus, il se tiendra au Golgotha et c'est lui qui l'ensevelira COMME UN ROI (30 kg d'aromates !!!) (19, 39).