4e dimanche de Carême, année B

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l'homme soit élevé, ?afin que tout homme qui croit obtienne par lui la vie éternelle »

Ces paroles sont mystérieuses et pourtant elles correspondent à un processus que nous pouvons comprendre : pour guérir, il faut parfois voir certaines choses. Par exemple les images du drame des enfants de ces jours-ci, nous ont tous saisis. Elles nous ont secoués profondément, sortis de notre léthargie, arrachés à notre égoïsme pour former une seule famille endeuillée. La Belgique l'a vécu d'un seul c½ur, brisé mais uni par la même douleur. Et tous les pays voisins s'y sont associés. Les cloches de nos églises ont sonné le glas. Un peu partout des minutes de silence ont été solennellement observées.  Personne n'est resté indifférent. Nous avons fait ensemble l'expérience de la communion dans la souffrance, parce qu'il s'agissait d'enfants et d'innocents et que cela n'aurait jamais dû se produire et que nous partageons une même impuissance, une même  précarité.
Devant un pareil événement, disaient bien des gens, beaucoup de choses paraissent dérisoires. Cela nous a remis face à l'essentiel et aux choix des priorités.

Toutes proportions gardées, il en est de même devant la croix de Jésus. Nous y sommes peut-être devenus trop familiers pour que nous puissions la voir vraiment. Il a fallu quatre siècles pour que les chrétiens osent représenter ce scandale des scandales, jusque là ils utilisaient le signe du poisson (IXTUS= poisson = anagramme de Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur). Et de fait, il faut regarder un jour sérieusement, non pas la croix, comme instrument de torture et de mort, ce pourrait être une chaise électrique, une mitraillette ou une guillotine - ce n'est pas la croix qui sauve mais le crucifié, l'innocent injustement condamné, collectivement assassiné... Il faut regarder un jour sérieusement ce qui s'est passé et réfléchir à ce que ce signifie cette mort-là, pour la vie, pour le monde, pour la société, pour moi. Quel est donc ce monde pour qu'une pareille erreur ait pu être commise, quelle est donc la société humaine pour qu'un tel scandale ait pu se produire, quels sont donc nos mécanismes humains, de recherche de pouvoir, de notoriété, de sécurité, de religion, pour qu'ils aient pu produire ce jour-là un tel résultat. Quel est donc notre péché pour qu'il produise la mort de l'homme - cela on le savait- mais  aussi, ce jour-là, la mort de Dieu ?

Devant ce que je vois, s'effectue en moi une prise de conscience nouvelle et décisive. Je comprends que beaucoup de mes soucis sont dérisoires, que la plupart de mes intérêts sont frivoles. Je sens que je suis appelé à vivre autrement, à vivre autre chose, je perçois de manière irrépressible que cela ne peut plus continuer comme avant, que cela ne sera plus, pour moi, jamais comme avant ...

Au c½ur même de l'horreur, de l'insoutenable, et justement parce que le drame n'aurait jamais dû se produire, et qu'il est insoutenable, il se produit en nous un choc salutaire qui appelle à faire la lumière, à dévisager la vérité et, pour cela, à regarder plus haut, à regarder plus loin, à ouvrir les yeux sur ce qui est important. C'est une 'catharsis', disait le philosophe , une forme de purge, de guérison. Il se produit un transfert vers celui qui souffre, d'une forme de souffrance qui était cachée en moi, une souffrance que je ne ressentais pas mais qui pleurait quelque part enfouie inconsciemment et qui se trouve libérée par la rencontre d'un autre souffrant. Et à l'échelle du monde, c'est pour l'humanité la rencontre de l'unique souffrant, celui qui rassemble en son cas, en son corps, toutes les injustices et toutes les haines, comme un bouc émissaire ou plutôt comme l'agneau de Dieu. Bouc émissaire pour ceux qui le haïssent, agneau pour ceux qui se rangent de son côté.

La Passion de Dieu pour l'humanité est un mystère qui accompagne le déroulement de notre histoire. Il ne s'agit pas un simple drame ponctuel, vieux d'il y a deux mille ans entre juifs et romains. La passion de Jésus nous dit la passion de Dieu pour l'humanité et comment Dieu est présent dans chaque injustice, chaque erreur de jugement, chaque accident.

La passion de Jésus rejoint les chrétiens au c½ur. Nous nous reconnaissons en lui parce que lui s'identifie à nous. Nous sommes son corps, il est notre vérité : Dieu qui se dit, dans notre humanité.
« Qui es-tu, Seigneur ? » « Je suis Celui que tu persécutes ». Devant Paul persécuteur, le Ressuscité s'identifie aux chrétiens enchaînés. La passion ressuscitante du Christ, c'est notre histoire : « Le Christ est en agonie jusqu'à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ! »