« LAISSEZ-VOUS RÉCONCILIER AVEC DIEU » (2ème lecture)
Dimanche passé, le Seigneur lançait cet avertissement: « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez » !?
Qu'est donc cette « conversion » indispensable, urgente, capitale ? L'évangile de ce jour nous en donne une illustration par la parabole dite « du fils prodigue » alors qu'elle est celle du PERE et à laquelle il faut restituer son sens dramatique et pas du tout « historiette pour enfants » !
Remarquons d'abord la mise en scène : Jésus se trouve devant un double auditoire :
Les pécheurs et les publicains venaient tous à Jésus pour l'écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !?? ». Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils... ».
Des hommes appliqués à l'étude des Ecritures et à l'observance minutieuse des moindres détails de la Loi n'avaient-ils pas raison d'être scandalisés en voyant ce Jésus en compagnie d'hommes connus pour leur corruption et leurs infractions à cette Loi ? En fait Jésus ne les approuve pas, il ne se situe pas « au-delà du bien et du mal », il ne dit pas que le péché est anodin mais il présente à ces gens le « Royaume de Dieu » où le lien à Dieu est personnel et ne s'enferme pas dans l'observance ou non des règlements. Il les fréquente sans les condamner car il est sûr que l'amour aura plus d'effets que les remontrances. En inventant cette parabole, il justifie sa conduite, laquelle est, pour lui, celle-là même de Dieu-Père et les deux fils sont les portraits du pécheur repenti et du juste endurci qu'il s'agit de réconcilier.
LE FILS PÉCHEUR EST RÉINTÉGRÉ
Comme tant de jeunes, le cadet a l'impression d'étouffer dans la maison paternelle, dans cette Eglise qui donne des ordres, multiplie les observances telle une marâtre qui semble avoir peur de la vie. Il veut être libre, décider lui-même de son existence : n'est-ce pas la seule manière de devenir humain, responsable de soi ? Et un jour, il quitte ses chaînes et « part pour un pays lointain ». Ce pays n'est pas sur la carte : c'est, comme disait S. Augustin, « la région de la dissimilitude » où l'homme croit se libérer en se dépouillant de sa vocation d'image de Dieu, où d'abord on peut « s'éclater », s'offrir mille jouissances, vivre à plein, où certains regorgent de biens et peuvent profiter de tout, où la femme devient objet de plaisirs (« Il dépensa ses biens avec les filles »), où le pauvre peut être réduit à l'état d'esclave par un patron dictatorial (« Il se trouva dans la misère à garder les cochons »).
Mais tous besoins satisfaits, renaît le désir de la vraie vie : « Il réfléchit : les ouvriers de mon père ont du pain en abondance et moi je meurs de faim ». Si je retournais ? Oh il n'a aucun regret de ce qu'il a fait, il ne ressent nulle contrition, il ne veut pas réparer le tort qu'il a fait à son père : simplement il a un instinct de survie et pour lui, le père reste le maître qui commande et qui donne à manger. A contrec½ur, il prend le chemin du retour : le manque nous remet parfois sur le chemin de la vérité. Et il s'interroge : Comment père va-t-il m'accueillir ? Va-t-il me chasser, me battre ?...
C'est alors que la parabole décrit ce qui est sans doute une des plus belles scènes de la Bible (sinon de toute la littérature) : Dieu se dévoile tel qu'il est.
Comme il était encore loi, son père l'aperçut et fut bouleversé : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : « Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils... ». Mais le père dit : « Vite, apportez son plus beau vêtement, mettez-lui une bague au doigt, des sandales aux pieds. Tuez le veau gras : mangeons et festoyons car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! »
« Heureuse faute » : le pécheur qui revient et qui avoue « j'ai péché » découvre enfin que son père, Dieu, n'est pas un père castrateur, un potentat, un juge implacable, une projection de son sur-moi.
L'amour guérit du désespoir et de la honte. Tu restes mon fils : il y a si longtemps que je t'attendais !
Rien n'est irrémédiable, le pécheur n'est jamais enfermé dans la prison de ses méfaits passés, il ne faut jamais se croire damné, rejeté, irrécupérable, il y a toujours possibilité de « conversion », de « retour ». Tout homme est toujours « attendu » par Dieu. Sans certificat de bonne vie et m½urs.
LE FILS JUSTE SE MET DEHORS.
L'autre fils, le brave homme, le pieux pharisien était, comme toujours, occupé à remplir tous ses devoirs : prières, liturgies, jeûnes, pèlerinages, mortification. Lui au moins était toujours « en règle », attentif à bien faire, sans regarder à sa peine. Il s'approche de la maison.
Le fils aîné était aux champs. A son retour, il entendit la musique et les danses. Il demanda à un domestique ce qui se passait ; celui-ci répondit : « C'est ton frère qui est de retour et ton père a tué le veau gras parce qu'il est en bonne santé ». Alors l'aîné se mit en colère et il refusait d'entrer !
Son père sortit et le suppliait. Mais il répliqua : « Il y a tant d'années que je te sers et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils que voilà est arrivé, après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer le veau gras pour lui ??!!! »...Le père répondit : « Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait bien festoyer et se réjouir car ton frère était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ».
Que son frère soit enfin revenu vivant ne l'intéresse en rien. Mais que leur père organise un banquet pour fêter comme un héros celui qui a dilapidé l'héritage pour mener une vie de débauche, cela le met en rage. La maison de Dieu doit être réservée aux justes, à ceux qui se conduisent bien, qui maîtrisent leurs instincts et dominent les tentations ; quant aux pécheurs, qu'on les interroge sur les motifs de leur retour, qu'on juge leur degré de contrition, qu'on leur inflige une longue et pénible pénitence, qu'ils soient montrés du doigt comme des créatures souillées.
Le brave père, averti de son arrivée, sort à sa rencontre et patiemment « le supplie » de se joindre à la fête : En demeurant avec moi dans la maison, tu as été très heureux, tu as échappé aux malheurs que ton frère a connus. Pourquoi as-tu vécu comme un serviteur qui attendait qu'on lui donne alors que tu étais un fils qui était chez lui ? Et maintenant que ton frère que l'on croyait mort depuis longtemps est de retour, n'est-il pas normal que je le cajole, l'embrasse, l'étreigne, lui restitue le trésor qu'il avait perdu ? Toute la maison ne doit-elle pas exulter, bondir de joie en accueillant celui que l'on croyait perdu et mort ?
Et la fin de l'histoire est dramatique : le père qui vient de retrouver son cadet perd son aîné qui ne veut absolument pas entrer ! Il est d'accord de s'astreindre à des devoirs rigoureux, d'obéir aux lois, de mener une vie exemplaire, de servir son père...mais non de faire partie d'une Eglise où l'on pardonne si facilement, où le pécheur n'est jamais rejeté mais toujours accueilli quels que soient le nombre et la laideur de ses fautes.
La parabole est bien un miroir que Jésus tend aux pharisiens scandalisés par son comportement, comme elle le sera plus tard pour les Juifs outrés de l'accueil des païens dans les jeunes Eglises, et comme notre conscience scrupuleuse l'est encore devant le pardon toujours offert à nos fautes. Car les deux fils nous habitent : notre sur-moi est habile à imaginer un Dieu exigeant, inflexible, comptable de tous nos péchés, un Dieu qui fait peur et qui écrase. Quelle conversion à faire !!!
Le grand poète Charles Péguy - un converti - a écrit des pages magnifiques sur cette parabole dans le « Porche du mystère de la deuxième vertu »:
« C'est la parole de Jésus qui a porté le plus loin, mon enfant...
Elle est célèbre, même chez les impies.
Or il dit : Un homme avait deux fils :
Et celui qui l'entend pour la centième fois, c'est comme si c'était la première fois ».
4e dimanche de Carême, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps du Carême
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013