Depuis quelques années, celles et ceux, en quête de sensations diverses, peuvent enfin, de chez eux, bien au chaud dans leur salon, et ce, grâce à certaines émissions télévisées, entrer dans l'intimité d'autres personnes de manière tout à fait naturelle, sans se poser aucune question.
En effet, des gens, triés sur le volet, acceptent d'être filmés quasi en permanence pendant une durée déterminée et feront ainsi la joie de ces spectateurs avides de détails croustillants de tout genre. Non seulement éthiquement inacceptables, je vois un danger certain dans la prolifération de ce type de programmes : celui de s'imaginer qu'il est tout à fait normal d'entrer dans l'intimité de toute personne au nom d'une fausse transparence de vérité. L'intimité n'aurait plus de frontières. L'intimité n'aurait plus de raison d'être. Tout peut être montré, dévoilé, voire étalé au grand jour. Pétri de ce type d'émissions, nous pourrions interpeller tout le monde, en tout sens, en tout lieu puisque l'intimité aurait disparu de notre paysage de vie.
Quelle société aurions-nous alors créé ? Il est essentiel de s'hérisser devant cette nouvelle culture car tout être humain se construit à partir de trois territoires d'intimité : intimité du corps, intimité de l'espace et intimité de la pensée. Et lorsque d'autres s'autorisent à y entrer de manière intempestive, nous avons le devoir de les remettre à leur place en leur rappelant de se mêler de leurs affaires et de leur faire savoir que cela ne les regarde pas. L'intimité de l'être est trop importante pour pouvoir être bradée par un certain type de culture télévisuelle.
En effet, dans nos vies, il y a des choses qui ne regardent que nous. Elles nous appartiennent. Ce n'est pas qu'elles soient scandaleuses, elles forment notre jardin secret personnel, familial ou communautaire. Ces réalités définissent notre appartenance et n'ont pas à se partager. Certaines seront même inavouables. Toutefois, contrairement à ce que d'aucuns imaginent, l'inavouable n'est pas toujours à lier à la faute, au péché. Il existe des choses qui sont inavouables car elles doivent rester secrètes, cachées. Ce n'est tout simplement pas le moment de les dévoiler. Les autres ne sont peut-être pas à même de les entendre, de les recevoir.
Et il en va de la sorte pour l'évangile de ce jour. L'intimité de Marie et de Joseph ne peut se dévoiler. La conception de l'enfant est à ce moment précis de leur histoire personnelle, inavouable. Ils taisent l'événement et acceptent ainsi de prendre le risque d'entendre les remarques, les critiques de leur environnement social qui croyait savoir alors qu'en réalité, ce dernier ne savait rien.
Puissions-nous nous nourrir de cet épisode de la vie de Jésus pour nous rappeler que très souvent, nous non plus nous ne savons pas. En effet, nous n'avons pas tous les éléments en main lorsqu'une situation précise touche l'intimité des êtres qui nous entourent. Marie et Joseph ont eu raison de protéger de la sorte leur intimité. En effet, de cette manière, ils ont pu assumer ce qui s'est imposé à eux.
En assumant l'histoire de Marie, d'une certaine manière, Joseph veut le non-voulu, qui pourrait se traduire par ce nouveau mot : l'invoulu. Il n'avait rien demandé. L'événement de la maternité de Marie est soudain, il contrecarre ses plans. Il aurait pu, comme souvent nous pourrions en être tenté, décider de le subir : « C'est ainsi. Je ne peux rien faire. Tel est mon destin. Je n'ai pas d'autre possibilité que de m'incliner ». Subir sa vie, prendre conscience de cette absence de liberté, rend notre traversée terrestre pénible. Or, comme le dit le poète, ce n'est pas l'événement qui fait la vie mais la manière dont je le vis.
En d'autres termes, soit je choisis de subir l'invoulu qui s'impose à moi, soit je décide de vouloir cet invoulu c'est-à-dire que je veux entrer dans une démarche. Une démarche proactive où décidant de vouloir l'invoulu, je me mets à l'assumer. Au départ, je n'ai pas désiré cet invoulu. Il m'est tombé dessus. Mais mon désir de liberté intérieure étant telle que cet invoulu, je le fais mien. Je l'assume en confiance. Je l'inscris dans mon histoire. Oh, une telle démarche ne peut se réaliser dans la solitude. C'est à deux que Marie et Joseph assument leurs nouvelles responsabilités. C'est avec celles et ceux qui m'entourent, à qui je me suis confié, en qui j'ai confiance, que je peux entrer dans une démarche en vue d'assumer l'invoulu parfois tout aussi inavouable.
Alors si, à certaines occasions, dans nos vies, nous sommes confrontés à des invoulus inavouables, remémorons-nous l'évangile de ce jour pour nous rappeler que l'invoulu inavouable de Marie et de Joseph a conduit l'humanité à entrer dans cet événement merveilleux de ce Dieu qui s'est fait proche de son humanité.
L'invoulu inavouable de Marie et Joseph, assumé en toute confiance, nous permet ainsi, à notre tour, d'entrer dans cette mystérieuse démarche d'attente qui éclatera au cours de la nuit de Noël. Amen