En ce dimanche des vocations, me revient à l'esprit l'histoire suivante : un jour, saint Vincent de Paul reçut une lettre d'une responsable de formation, celle-ci dit au saint : « cher père, nous avons actuellement chez nous deux novices, la première est très pieuse, elle passe son temps à prier à la chapelle mais son regard est tellement mélancolique, elle semble si triste. Puis il y a la seconde, une « indomptable » mais dont la joie se lit sur le visage et qui est toujours de bonne humeur ». Que dois-je faire demanda la s½ur ? La réponse du saint fut cinglante : débarrassez-vous de la mélancolique et gardez l'indomptable. Voilà de quoi remettre un peu les pendules à l'heure. Tout comme les textes de ce jour d'ailleurs puisque tous trois nous parlent de « salut ».
Salut ? Etre sauvé ? Mais qu'est-ce à dire ? La réponse se trouve dans l'évangile que nous venons d'entendre. Etre sauvé, c'est tout simplement avoir la vie en abondance. Voilà le sens premier, le sens principal du salut tel que le Christ nous propose de le vivre. Vivre sa vie en abondance, aller jusqu'au bout de soi-même, c'est-à-dire s'accomplir, se réaliser. Nous pourrions même dire s'épanouir. En fait, tout simplement, être heureux. Voilà le sens du salut, cette abondance de vie à laquelle nous sommes toutes et tous appelés. Jésus, Fils de Dieu, s'est incarné d'abord et avant tout pour nous montrer un chemin précis d'humanité, une porte par laquelle passer. Même s'il n'y avait pas eu le péché, Dieu se serait incarné. Il n'a pas eu besoin de nos manquements d'amour pour venir vivre notre vie d'homme. Dieu attend donc bien de nous que nous allions jusqu'au bout de nous-mêmes. En effet, nous sommes par définition des êtres inachevés, vivant dans un monde inachevé. Nous sommes toujours en quête d'un plus-être, d'un mieux vivre. Un peu comme si nous avions en nous cette certitude que nous ne sommes jamais pleinement arrivés. Pour se réaliser, pour être sauvé, il faut prendre le temps de s'arrêter, prendre le temps de vivre. Je crois même pouvoir affirmer qu'il faut attendre pour pleinement s'atteindre. Notre vocation d'hommes et de femmes, en tant qu'être humain, est donc de ne jamais s'arrêter dans notre quête incessante de l'épanouissement. Voilà le sens premier du salut. L'expérience de nos vies, nous montre, nous démontre que ce n'est pas quelque chose de facile. Que de fois, nous trébuchons sur le chemin de nos vies, nous nous égarons dans les méandres tortueux de nos pensées. Nous devons alors, aussi être sauvé de tout ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes. Et voilà le second sens du salut. Hélas pour nous, mais au cours des siècles, ce second sens est devenu premier quitte même à en oublier le salut d'accomplissement au profit du salut des péchés.
Jésus est également mort pour nos péchés, nos manques d'amour. Trop de choses encombrent nos routes pour être ce que nous sommes appelés, par vocation humaine, à être. Mais en quoi, est-ce que Jésus est mort pour nos péchés, puisque nos livres d'histoires mais également nos journaux nous rappellent chaque jour des actes de violence, de mépris, d'absence de tendresse et d'amour. En quoi Jésus nous sauve-t-il donc ? Venant du pays de la bande dessinée, permettez-moi d'illustrer ce second sens du salut par, ce que j'oserais appeler, une parabole moderne. Il était une fois, un homme qui mourut. Il arriva au ciel dans une immense salle de cinéma. Très confortable par ailleurs. Il était là. Seul. Terriblement seul avec tous ces fauteuils vide. Et voilà que tout à coup, de par derrière l'écran arrive un ange qui lui souhaite la bienvenue et lui fait savoir qu'il va assister à la projection du film de sa vie, c'est-à-dire que tout ce qu'il a dit, fait, voire même pensé va apparaître à l'écran. Vous imaginez bien qu'au terme de la projection, notre homme est tout à fait effondré dans son fauteuil et est heureux de voir apparaître le mot « fin » à l'écran. Et voilà, que toujours par derrière l'écran, notre ange revient pour lui dire : nous espérons que tu as apprécié la projection. Tu t'es sans doute demandé pourquoi, il y avait autant de fauteuils dans cette salle alors que tu es tout seul. Et bien voilà, nous allons projeter à nouveau le film de ta vie, mais cette fois, tous ceux et celles qui sont acteurs dans ton film vont venir te rejoindre dans la salle. Vous imaginez l'horreur. Et bien, de manière imagée, c'est cela le second sens du salut. Dieu le Fils nous sauve de cette deuxième projection. Par sa mort, elle n'aura jamais lieu.
Et le Christ ce soir vient nous retrouver dans l'intime de notre être par les mots de saint Jean. Oui, j'ai pris sur moi le poids de vos manquements ; oui, je continue à prendre sur moi, comme si je vivais un vendredi saint éternel, tout ce qui vous encombre, tout ce qui vous empêche de devenir ce à quoi vous êtes appelés, c'est-à-dire vous-mêmes. Tout cela est bien vrai mais c'est second, car dans le c½ur de Dieu, dans la venue de son Fils parmi nous, le salut, c'est tout simplement, tout tendrement, recevoir la vie, mais la recevoir en abondance. Que jamais, ô combien jamais, nous ne gaspillions un tel cadeau. Il vient du ciel. Et cette vie en abondance nous ne la recevons qu'une seule fois. Ne passons pas à côté, nous convie Jésus.
Amen.