4e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 2006-2007
Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes UN. »

Bêê... Bêê...

Avec moi, tous ensemble : Bêê.... Bêê...

Together, Chacun dans sa langue : Bêê... Bêê...

Jésus nous dit que nous sommes des brebis ! Cette image, interrogeons-la : Que nous dit-elle de nous-mêmes ? Qu'est-ce qu'une brebis ? Un animal, au regard doux mais un peu vitreux, qui bêle gentiment mais moins par conviction que parce que le voisin bêle aussi. Essayez de traverser un champ de brebis... Il est difficile de couper un troupeau en deux, elles veulent toutes passer du même côté même si le chemin n'est pas direct. Une brebis isolée est comme un poisson hors de l'eau, elle est perdue. Jésus nous dit que nous sommes des brebis, et cela n'est pas vraiment enthousiasmant. Une brebis, c'est bête et deux brebis, c'est deux fois plus bête, alors que dire d'un troupeau ! De plus le troupeau sent mauvais... Je ne me reconnais pas dans une brebis. Il n'y a pas là un idéal capable de me mobiliser. C'est un programme qui me déçoit.

***

Mais il y a le Berger. « Je suis le Bon pasteur, dit Jésus, celui qui rassemble et qui conduit, qui fait sortir hors de la bergerie, Celui qui veille sur ses brebis ». Il connaît leur faiblesse et, osons-le dire : leur bêtise... Il connaît leur peu d'audace et leur manque d'imagination. Il est le Bon Pasteur. Et c'est là qu'est la pointe de la parabole, la figure centrale, l'intention de l'image choisie. Car une parabole se comprend par sa pointe. Quand Jésus nous dit par exemple que « le Fils de l'Homme viendra comme un voleur », il ne nous dit pas qu'il est un voleur mais que son retour sera aussi imprévu que l'arrivée du voleur. Ici, c'est dans la figure du bon pasteur qu'il faut chercher ce que Jésus veut dire quand il nous parle de brebis... Il ne s'agit pas de rester grégaires, encore moins de le devenir, mais d'avoir un Bon pasteur. De quoi s'agit-il ?

« Je suis le bon pasteur et elles entendent ma voix ». Tout se trouve dans ce petit « et » : Et elles entendent ma voix. Il y a une voix à entendre, il y a un espace en moi pour une parole qui vient de l'extérieur. Tout n'est pas centré sur la brebis, tout n'est concentré sur moi. Entendre la voix, c'est d'abord cesser de bêler pour se taire, écouter, accueillir, recevoir. C'est, par le même acte, consentir que quelque chose ne vienne pas de moi, que quelque chose me soit donné. Une parole m'est offerte, et elle vient à moi, et elle vient vers moi, et elle vient en moi. Je ne fabrique pas ma finalité. Je ne fabrique pas les buts importants qui vont mobiliser ma vie. Cela vient d'ailleurs, hors de moi.

Mais cela résonne en moi. J'entends cette voix. Je la reconnais. Serais-je seulement passif ? Au contraire, je suis tout entier éveillé, réveillé, mobilisé. Ma sensibilité coopère avec cette voix et, par ma sensibilité, tout ce que je suis se met à vibrer. « Je suis le Bon Pasteur et vous êtes mes brebis ». Le texte le dit bien : il y a d'abord un Bon pasteur et ensuite des brebis : c'est parce qu'il y a un bon pasteur qu'il y a des brebis. Alors je reçois cette comparaison sans aucune honte. Je comprends que le Dieu qui m'appelle, me respecte, me veut, non pas comme une brebis, bêlante et grégaire, mais comme un être capable d'écouter sa voix.

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Jésus nous dit ici quelque chose de très fort sur la liberté humaine. Il dit premièrement que Dieu prend sur lui notre faiblesse, qu'il ne l'ignore pas. Il n'a pas affaire à des surhommes et il le sait. Il dit aussi, et ce n'est pas contradictoire, que je suis appelé à grandir et à construire ma vie selon une finalité qui n'est pas seulement en moi. Cette finalité m'est offerte par lui, elle m'est donnée. C'est une parole, c'est un appel venu de l'extérieur. C'est une révélation. Tout ne dépend pas de moi et pour autant, rien ne peut se faire sans moi. Elle est là, ma responsabilité : il y a une sensibilité à découvrir, il y a une sensibilité à acquérir, il y a une sensibilité à cultiver.

Aujourd'hui c'est le dimanche des Vocations et l'on nous demande souvent, à nous religieux, comment nous avons compris notre vocation. On nous demande même parfois comment on a « eu » la vocation. Cette formulation est ambiguë car on ne naît pas avec la vocation. Pour reprendre les déclarations scabreuses de certains en d'autre domaines ( !), la vocation ne fait pas partie du « patrimoine génétique ». Il n'y a qu'une seule espèce humaine et c'est l'humanité toute entière qui est appelée. Les Pères de l'Eglise ont reconnu l'ensemble de l'humanité dans la parabole de la brebis perdue. Le berger la prend sur ses épaules comme le Christ se charge de notre nature humaine et ainsi de toute l'humanité. C'est une façon imagée de nous présenter l'Incarnation.

Il y a donc une voix. Et derrière la voix, il y a quelqu'un. La vocation, c'est l'acquisition d'une sensibilité personnelle à la voix qui me dit : « toi, suis-moi ». Cette acquisition demande du temps. Elle est affaire de construction de soi, comme une culture, un affinement.

Si le point de départ est donc bien extérieur, la vocation n'est pourtant pas un impératif catégorique qui s'imposerait, inévitable, produisant en celui qui n'y répond pas un goût d'amertume, une odeur de brûlé, le sentiment d'un raté, et finalement beaucoup de culpabilité. La vocation n'est pas toute faite, elle grandit avec nous comme une amitié.

Le dimanche des vocations nous rappelle que, depuis des siècles, des hommes et des femmes ont choisi de vivre autrement. Ils ont répondu à un appel. Ils ont tenté d'acquérir cette sensibilité nouvelle à une voix qui s'adresse à eux personnellement. Leur liberté est là. Ce n'est pas la seule, il y a aussi la liberté de ceux qui les reçoivent, pour les accompagner. La responsabilité est donc partagée mais, de part et d'autre, elle est d'abord une écoute, une surprise, une joie inouïe qui est donnée. Personne n'est propriétaire de cette vocation-là. Personne ne peut avoir prise sur elle. Elle est libre. Elle est pauvre. Et c'est dans cette liberté et cette pauvreté que se vit la fidélité : la nôtre, la fidélité de l'entourage et heureusement la fidélité de Dieu !

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Avant de terminer, j'aimerais poser une question : où sont-ils donc maintenant, ces religieux, toujours présentés comme les champions de la vocation ? Eux qui ont impulsés les principaux changements sociaux, en défrichant les forêts, en organisant l'enseignement et la santé, voici que des changements profonds de société les obligent à leur tour à tout réviser.

On dirait qu'ils ont disparu du paysage. Ils sont au-delà de l'horizon. Après le 3ème âge puis le 4ème âge, ils affrontent le défi majeur de notre temps, celui de vieillir, celui de mourir. Il faut mourir, si l'on veut ressusciter ! J'étais avant-hier à l'anniversaire de la s½ur Marie-Paule, une dominicaine de Bruxelles, elle vient d'avoir cent ans et elle marche, elle parle, elle rit. « 100 ans de bonheur », dit-elle ! Les religieux, religieuses, ont souvent transformé leurs maisons, leurs couvents en « homes », en résidences de personnes âgées. L'un d'entre eux me disait : « on n'a jamais vu des résidences de personnes âgées d'être auto-gérées ni auto-financées ». Ils y parviennent souvent. Et, dans une société de zapping, ils témoignent de la fidélité.

Pour conclure avec ces questions, je vous propose deux paroles de Jésus : « Celui qui a des oreilles, qu'il entende ! » et puis « Comprenne qui pourra ! »