4e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Collin Dominique
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2004-2005

Mt 5, 1-12

Nous sommes invités, ce dimanche, à entrer dans la ronde de joie de tous ceux et celles qui ont trouvé le bonheur en cherchant le Royaume des cieux ! Nous sommes invités par Jésus à être heureux ! Heureux, parce que nous aurons trouvé le source du bonheur et de la joie : Dieu lui-même !

Nous disons souvent, et à juste titre, que Dieu est amour. Mais il faut ajouter aussitôt : Dieu est bonheur ! Il est « le Dieu bien-heureux qui donne le bonheur », dit saint Augustin. Etre heureux et rendre heureux lui appartiennent en propre, comme à la lumière de briller et d'habiller de couleurs toutes choses. La béatitude fait partie du mystère même de son être. Lorsque, enfants, vous avez suivi le catéchisme, le curé aurait pu très justement, à la question : « Qu'est-ce que Dieu ? », vous enseigner la réponse : « Dieu est l'être parfaitement heureux, créateur du ciel et de la terre ». Cela n'aurait pas été moins exact que de parler de l'être « absolument parfait » et cela aurait été certainement plus compréhensible à l'enfant que vous étiez qui associait spontanément et avec raison le bonheur au jeu.

Comment savons-nous que Dieu est béatitude ? Il l'est pour la même façon qu'il est trinité : parce qu'il est amour. En fait, et l'expérience l'enseigne, le bonheur c'est d'aimer et d'être aimé. Lorsque l'Esprit Saint répand dans les c½urs l'amour de Dieu (Rm 5, 5), il y verse en même temps la béatitude de Dieu. Pour cette raison, la joie est un des premiers fruits de sa venue dans l'âme. Le « Dieu de ma joyeuse allégresse » : c'est le titre donné à Dieu dans un psaume (Ps 43, 4).

Si Dieu est béatitude, tout ce qu'il fait, il le fait avec joie ; avec joie, il crée « tandis que les étoiles du matin chantaient en ch½ur et que tous les fils de Dieu criaient hourra » (Jb 38, 7). Il sauve avec joie et même il souffre avec joie (car il vrai que Dieu « souffre » avec l'homme et pour l'homme aussi longtemps que celui-ci demeure en risque de se perdre.) Dieu est heureux ! Voilà sur Dieu une affirmation neuve et non un cliché usé, qui est à même, mieux que tant de discours, de nous faire percevoir que Dieu est bien le « Dieu vivant ».

Où et quand avons-nous connu le bonheur pour en porter en nous un désir si vif dès notre naissance ? Au cours d'une vie antérieure ? Mais cela ne ferait que renvoyer le problème à cette vie précédente, sans le résoudre. Nous portons inscrit en nous le désir d'être heureux parce que Dieu nous a créés « à son image, en vue de sa ressemblance » : lui, qui est béatitude parfaite, nous a créés pour la béatitude. Nous sommes pétris avec le désir du bonheur.

Une question se pose alors : pourquoi si peu de gens sont-ils vraiment heureux ? Et ceux qui le sont pourquoi le sont-ils de façon si fugitive ? Il n'est pas difficile de découvrir où se dissimule l'erreur. La révélation dit : « Dieu est amour ». Et l'homme a pensé pouvoir renverser la proposition en déclarant : « L'amour est dieu ! ». Et quand la révélation enseigne : « Dieu est béatitude », à nouveau l'homme renverse l'ordre pour affirmer : « le bonheur est dieu ! ». Qui cherche Dieu trouve toujours le joie, mais qui cherche la joie ne trouve pas toujours Dieu. Chercher le bonheur avant de chercher Dieu ou le chercher en dehors de Dieu c'est n'en trouver qu'un vain simulacre. L'homme ramène sa soif de bonheur au niveau quantitatif : il poursuit des plaisirs et des émotions de plus en plus intenses, il ajoute plaisirs à plaisirs. Pour entrer dans la joie, il faut donc passer de la quantité à la qualité. Dieu seul est heureux et rend heureux. Un psaume exhorte en ce sens : « Mets ta joie dans le Seigneur, il comblera les désirs de ton c½ur » (Ps 37, 4). En Dieu, l'homme trouve tout ce qu'il a coutume d'expérimenter par le mot de bonheur et même infiniment plus, car « l'½il n'a jamais vu, l'oreille n'a jamais entendu, le c½ur de l'homme n'a jamais perçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment » (1 Co 2, 9). Le but ultime que la foi chrétienne propose à l'homme n'est pas la simple cessation de toute souffrance ou l'extinction de tout désir. C'est infiniment plus : la satisfaction de tous les désirs. « Devant ta face, débordement de joie, chante un psaume, à ta droite, éternité de délices ! » (Ps 16, 11). L'humanité moderne a fini par s'enfermer dans la conviction qu'elle doit choisir entre Dieu et le bonheur. Inconsciemment nous avons fait de Dieu le rival, l'ennemi de la joie de l'homme ; un Dieu « envieux », comme le dieu de certains auteurs païens.

Dieu est bonheur ! Les moments apparemment éphémères de notre vie, chacun de ces instants où, comme dit le poète, « nous avons eu les veines pleines d'existence », s'inscrivent à jamais dans la mémoire aimante du Père. Alors le nihilisme de notre époque est vaincu, l'angoisse, au fond de nous, peut se transformer en confiance, la haine en adhésion. Et voici ce qu'il faut sentir très fort, chaque jour : il est bon de vivre, vivre est grâce, vivre est gloire, toute existence est bénédiction.

Alors, être heureux, c'est bénir. Tenter de devenir non pas un être de possession - qui possède et qui est possédé -, mais un être de bénéfaction. Réciprocité sans limites de la bénédiction : bénir Dieu qui nous bénit, tout bénir dans sa lumière, sous oublier que la bénédiction, pour ne pas devenir « vaines paroles », doit se faire « bénéfaction ». Oui, agir la bénédiction reçue au plus profond pour faire grandir ceux et celles que nous rencontrons.

Être heureux et rendre heureux : tel est la nature de Dieu et notre vocation personnelle et collective. Avec confiance, prenons donc avec un dynamisme renouvelé le chemin de la Béatitude. Amen !