4e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

A quelques kilomètres d'ici, en pleine campagne, se trouve une délicieuse chocolaterie artisanale et qui n'a rien à voir avec le chocolatier dont je vous ai déjà entrenu. J'aimerais personnellement pouvoir y passer de temps en temps mais mes finances ne me le permettent pas. Alors je me mets à rêver d'une de leurs pralines : ma préférée. Lorsque vous la croquez vous vous émerveillez de cette mousse au chocolat tendrement posée sur une fine tranche de massepain et surplombée d'une petite noisette, le tout enrobé de chocolat fondant. Je répète : une mousse au chocolat tendrement posée sur une fine tranche de massepain et surplombée d'une petite noisette, le tout enrobé de chocolat fondant. Le bonheur ! Le vrai bonheur. Une béatitude vécue ici et maintenant.
Mais en est-il vraiment ainsi ? Est-ce véritablement le vrai bonheur ? Celui que nous espérons toutes et tous. Hélas, je ne le crois pas. Et tant pis pour ma pauvre praline. Le bonheur auquel nous sommes conviés est un bonheur éternel, ou dit autrement, un bonheur qui perdure à jamais dans le temps. Ce qui n'est pas le cas de ma praline. Quand j'y goûte, peu de temps après, j'en désire une seconde, puis une troisième et comme elles sont si délicieuses, j'en mangerais à l'infini. Le bonheur de ma praline se doit de se répéter pour subsister. Ma praline n'est plus signe de bonheur par excellence, elle reste, en tout cas à mes yeux, étincelle de bonheur, préfigurant une dimension du bonheur, celle d'une plénitude acquise pour toujours. Mais pour cela, il faut laisser le temps au temps. Si la mort est, comme je le disais il y a quelques semaines, l'entrée dans un état de bonheur, il n'en est pas de même de notre vie. Nous n'avons pas encore atteint cet état. En tout cas pas de manière permanente.
Mais pour vivre un jour cette promesse, le Christ, par ses béatitudes, renversant de la sorte les dix commandements, non pas en les abolissant mais en les inscrivant dans le c½ur de chacune et chacun, nous convie à entrer dans un chemin précis, celui de la dynamique du bonheur. Quel plus beau projet de vie, aurions-nous pu espérer ? Voilà donc que s'inscrit en nous, non plus des Tables de la loi, mais des béatitudes c'est-à-dire des souhaits manifestant le dessein de Dieu pour son humanité. Dieu nous convie à être heureux. Un peu comme si l'accomplissement de notre bonheur était son propre bonheur. Un bonheur qui ne se vit pas seuls mais qui se partage, s'offre dans le rencontre avec l'autre pour mieux être signe du Tout-Autre. Le bonheur des béatitudes est bien une dynamique du bonheur que nous retrouvons dans notre texte où nous passons presque constamment du présent au futur. Heureux sommes-nous ici et maintenant si nous vivons d'une certaine manière, le bonheur nous est promis dans le futur. Promesse ultime de Dieu nous conviant à écrire personnellement notre histoire. Ecrire sa vie est essentiel. Chacune et chacun de nous avons besoin de laisser une trace, une marque de notre passage, écrit Martin Gray.
La vie nous a été donnée. Nous n'avons rien demandé. Chacune et chacun nous sommes invités à la réussir, à lui donner vie, à construire un projet pour que jamais nous ne regrettions d'être passé à côté de celle-ci. Je crois personnellement qu'il n'y a rien de pire pour une personne que de passer à côté de sa vie. C'est pourquoi, il est tellement important de prendre sa plume et de se mettre à écrire sa propre vie. L'homme est né pour s'élever au-dessus de lui-même pour être lui-même, écrivit un jour Bemard de Clairvaux. La vie humaine apparaît donc bien comme un beau risque à réaliser, une aventure d'une destinée que nous nous donnons à nous-mêmes. C'est à nous de faire de notre vie une histoire, qui dit oui à l'existence et que nous allons conduire et prendre par la main pour lui donner sens et forme à chaque instant.
Toutes et tous, à l'image des béatitudes, nous nous déclinons au futur de ce que nous avons reçu. Notre vie est vie lorsque nous la jouons c'est-à-dire lorsqu'elle devient une histoire, celle que j'écris moi-même. Comme si être, c'est s'écrire. S'il en est ainsi, quel bonheur avons-nous de faire de nos vies une écriture, celle-ci à son tour s'inscrivant dans les Ecritures. Oui, heureux sommes-nous de recevoir et méditer ses béatitudes car elles nous offrent ce chemin où je choisis de faire de la vie, l'écriture de ma destinée, avec les autres et fondée sur le Tout Autre. C'est de la sorte qu'au c½ur de ma vie, je creuse mon sillon.
Amen.