UNE PAROLE QUI GUERIT
Il y a deux sortes de prédications chrétiennes. La 1ère est inaugurale, essentielle, brève, fondatrice, itinérante : elle est celle que Jésus a adoptée et pratiquée tout au long de sa vie missionnaire. Parcourant la Galilée, il proclame que Dieu vient et donc qu'il faut se convertir et croire à cette Bonne Nouvelle. Jésus apparaît comme un héraut (en grec : kèrux), un envoyé du Souverain, qui circule en annonçant une nouvelle importante qui concerne tout le monde. De ce fait cette proclamation s'appelle « le kérygme ».
L'autre prédication est seconde, longue et explicative : elle détaille le contenu du kérygme, le fait comprendre, en déploie toutes les conséquences pour la vie. C'est ce qu'on appelle « l'enseignement », la catéchèse.
Marc, dimanche passé, nous a présenté le « kérygme », la proclamation par Jésus de l'Evangile : aujourd'hui il nous raconte le 1er exemple de son « enseignement ».
PREDICATION A L'ASSEMBLEE CROYANTE
Jésus, accompagné de ses disciples, arrive à Capharnaüm.
Aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes.
Abandonnant le désert judéen de Jean-Baptiste et Nazareth, son village, Jésus vient dans la petite ville de Capharnaüm située au nord-ouest du lac de Galilée, port de pêche et poste de douane. Ce sera le centre de son rayonnement dans la région (sans qu'il y demeure en permanence).
Comme il le fera toute sa vie, en bon Juif observant, Jésus pratique le repos du shabbat et se rend aux offices de la synagogue, y emmenant ses premiers disciples. Sans doute a-t-il déjà commencé à prêcher de-ci de-là : intrigué, le responsable du culte lui a demandé d'assurer la prédication.
Que dit Jésus ? Quel est le contenu de son enseignement ? Marc n'en dit rien parce que Jésus n'apporte pas une autre religion : il dit la Loi de Dieu. Mais Marc souligne la méthode exceptionnelle du prédicateur : il parle « avec autorité » à la différence des scribes. En effet ces spécialistes des Ecritures qui étaient chargés de former le peuple enseignaient tout en s'appuyant sur les traditions anciennes. Il fallait toujours citer tel passage biblique, telle leçon donnée jadis par un grand rabbin afin de justifier ce que l'on disait. Or, à la différence de ces maîtres, Jésus parle sans avoir besoin de références. « Avec autorité » ne signifie pas qu'il force la voix ou qu'il hurle en tapant sur le pupitre mais que son discours tient par sa propre cohérence. L'assistance n'a jamais entendu un prédicateur agissant de la sorte : « On était frappé »(le verbe signale un effet très marqué, une forte stupéfaction).
La question n'est plus « que dit Jésus ? » mais « QUI EST-IL ? »
LA PAROLE QUI EXORCISE LE MAL
Il y avait dans leur synagogue, un homme tourmenté par un esprit mauvais qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais fort bien qui tu es : le Saint, le Saint de Dieu ! ». Jésus l'interpella vivement : « Silence ! Sors de cet homme ! ». L'esprit mauvais le secoua avec violence et sortit de lui en poussant un grand cri.
Saisis de frayeur, tous s'interrogeaient : « Qu'est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau avec autorité ! Il commande même aux esprits mauvais et ils obéissent ».
Et aussitôt sa renommée se répandit dans toute la région de Galilée.
Chaque sabbat, la petite synagogue était remplie par le peuple qui chantait les psaumes et écoutait les lectures et les sermons du rabbin. Le culte habituel était simple, régulier, paisible, un peu ennuyeux comme tous les offices. On pratiquait les rites sans en rien attendre : que pouvait-il se produire ? On venait puis on sortait de l'édifice comme on y était entré. N'est-ce pas ainsi que nous faisons encore ?...
Mais ce jour-là, avec Jésus, éclate du « nouveau ». Car sa Parole n'est pas un ronron pieux, une enfilade de citations savantes, une leçon théologique, un morceau d'éloquence ampoulée : elle est un « enseignement nouveau » qui recèle une « autorité », un pouvoir divin, une force qui percute la carapace derrière laquelle se cachent les bons pratiquants. Cette Parole vrille les c½urs, interpelle, secoue, questionne. D'elle-même elle est capable d'exorciser, de faire apparaître le mal caché et de le faire sortir avec éclat. Heureux l'homme qui cesse de se blinder dans sa bonne conscience de pratiquant honnête et régulier et accueille enfin cette Parole qui, tel un bistouri, peut extraire la tumeur secrète. Et c'est le plus grand pécheur qui réagit, atteint en plein c½ur Chaque semaine cet homme venait à la synagogue, suivait le culte avec piété, écoutait les lectures, chantait avec les autres ; il pressentait peut-être qu'il aurait fallu se convertir. Mais il repartait inchangé, auditeur passif d'une prédication qui le laissait indemne.
Aujourd'hui l'homme est atteint au plus profond de lui-même, là où il est aliéné. Et son mal - le démon impur - hurle d'être démasqué. Il n'est pas vaincu par des exhortations plus pressantes ni par des reproches cinglants, ni par des menaces terrifiantes.
Ce n'est pas le contenu de l'enseignement qui agit, mais LA PERSONNE QUI PARLE.
Jésus proclamait la venue du Royaume de Dieu : à présent, tout de suite, l'intérêt se porte sur l'identité de celui qui fait cette annonce et qui a autorité non seulement de s'exprimer sans références mais d'éliminer les puissances mauvaises qui souillent l'homme et l'éloignent de Dieu. « Un plus fort que moi va venir » annonçait Jean-Baptiste qui butait, comme tous les scribes et les prophètes, sur le mur du refus.
L'assemblée est heurtée, « saisie de frayeur » : elle perçoit que l'écoute de la Parole de Dieu n'est pas nécessairement anodine, banale. Que l'on ne vient pas « assister à un office » pour « être en règle », ni pour écouter « quelqu'un qui parle bien ». Mais qu'il s'agit de se présenter devant Dieu comme des malades profonds en quête de guérison. On ne vient pas à « un exercice pieux » : on vient « pour se laisser convertir », pour changer, se laisser arracher des habitudes auxquelles on tenait trop, pour dépasser l'accoutumance au mal, devenir des « hommes nouveaux » grâce à « un enseignement nouveau ».
Et il n'y en eut qu'UN seul à la synagogue ce jour-là ! Le plus difficile peut-être, ce n'est pas d'envisager un changement mais de se lancer seul tout en voyant que les autres ne bougent pas. Ah ! si chaque Eucharistie provoquait UN chrétien à proclamer : « Je sais qui est Jésus : le Saint de Dieu, mon Sauveur ! ».
Pourquoi tant de baptisés ont-ils quitté l'Eglise ces dernières années ? N'est-ce pas parce qu'ils ont reçu des sacrements et des enseignements (moraux, liturgiques, sociaux) sans avoir au préalable été interpelés de façon personnelle par l'annonce du « kérygme » qui leur aurait fait faire « une expérience » de la foi ?
Comment, après tant de siècles d'Eglise, dans des pays habitués au christianisme, faire retentir l'Evangile comme une « Nouvelle » inouïe, jamais entendue ?...