4ème Dimanche de Carême
Jos 5, 9a.10-12 – Ps 33 (34), 2-3, 4-5, 6-7 – 2 Co 5, 17-21 – Lc 15, 1-3.11-32
Mais quelle famille, pourrait se dire le psychologue systémicien qui reçoit ce père et ses deux fils en thérapie. Un père et pas de mère. Un fils aîné, fils mais très peu frère vu la façon dont il se compare avec ce dernier et un frère cadet, frère mais très peu fils vu la manière dont il réclame son héritage à son propre père. Quelle famille ! Et pourtant, comme nous le savons toutes et tous, la famille parfaite n’existe pas puisqu’elle est le lieu par excellence de notre socialisation, c’est-à-dire de notre apprentissage à vivre ensemble en tenant compte les uns des autres. La famille est ce laboratoire humain vivant où nous découvrons les joies et les frustrations, les règles et le besoin de liberté. Toutefois, la famille est, j’ose espérer pour la majorité d’entre nous, le cocon où nous avons découvert ce que c’était d’être aimé par nos parents qui nous ont fait le don de la vie. Un vieux frère dominicain me disait un jour, si tu veux comprendre un de nos frères, cherche d’abord à rencontrer sa mère. De cette rencontre, tu comprendras beaucoup de choses. Il avait transformé l’adage « tel père, tel fils » en « telle mère, tel fils ». Ce qui est en tout cas clair avec cette famille que nous découvrons dans l’extrait d’évangile que nous venons d’entendre c’est que l’adage « tel père, tel fils » n’est plus de mise. En effet, le père est dans une dynamique exceptionnelle du don tandis que ses deux rejetons sont plutôt dans celle du dû. Le fils cadet estime avoir droit à son héritage. Ce dernier est un dû pour lui et il ne juge même pas nécessaire d’attendre la mort de son propre père pour pouvoir en bénéficier. Quant à l’aîné, ce n’est pas beaucoup plus brillant. Il est également dans cette dynamique du dû. Puisqu’il a tout donné à son père, celui lui doit retour. Le donnant-donnant est également une forme de dû puisque qu’il y a une attente voire une exigence non avouée de toujours recevoir en retour. Heureusement que dans cette famille, il en va tout autrement dans le chef du père. Lui, il est vraiment dans le don. Il ne compte pas. Il donne. Et son don est à la mesure de sa démesure. J’irais même jusqu’à oser prétendre que le don du père est énigmatique. Cet extrait d’évangile ferait ainsi la joie non seulement des psychologues mais également des romanciers qui aiment inventer des énigmes. La première énigme se situe dans le fait que le père donne son héritage sans broncher. Il accède à une demande qui paraît irrévérencieuse et immature vu la manière dont cet argent va être dilapidé. Ce père laisse partir son fils au risque de le perdre. Dans l’amour, il refuse toute forme de pouvoir à son égard. Dans l’amour, il lui fait le don de sa liberté. Tel pourrait être un des sens de la première énigme. Quant à la deuxième, nous pouvons nous étonner qu’il ne punisse pas son fils à son retour. Il ne lui demande aucun remboursement même pas en plusieurs mensualités. Il l’accueille et court à sa rencontre. Est-il besoin de rappeler que dans la tradition biblique, un notable ne court jamais ? Il marche toujours posément avec cette dignité qui lui sied. Le père de la parabole s’empresse donc retrouver son fils et dans l’amour lui fait le don de sa miséricorde. Comme le disait récemment un enfant, la miséricorde, c’est la corde qui permet de tirer quelqu’un de sa misère et cette corde s’appelle tout tendrement l’amour.
La première énigme peut se résoudre par le don de la liberté, la deuxième par le don de la miséricorde. Quant à la troisième, l’énigme se situe dans le fait que le père ne cherche pas à donner des explications rationnelles à son fils aîné en lui prouvant le bien fondé de son attitude. Non, dans l’amour, il lui fait découvrir qu’il y a de l’indicible, du mystère. En d’autres termes que l’amour n’a pas à s’expliquer mais qu’il se vit dans une confiance en un lâcher prise sur la vie. Trois énigmes qui se résolvent ainsi en trois dons : le don de la liberté, le don de la miséricorde et le don de la confiance dans un lâcher prise. Finalement, la morale de cette histoire est que le dû tue et que le don ouvre à la vie. Une vie de dus ou une vie de dons ? A chacune et chacun d’entre nous de choisir et de vivre en conséquence. Que cette parabole éclaire notre conscience.
Amen