5ème dimanche de Carême

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 13/03/16
Temps liturgique: Temps du Carême
Année: 2015-2016

« LÀ OÙ LE PÉCHÉ A PROLIFÉRÉ, LA GRÂCE A SURABONDÉ »                                              

« Jésus et la femme adultère » : une des scènes les plus magnifiques et les plus célèbres des évangiles. Mais aussi des plus énigmatiques : elle manque dans les plus anciens manuscrits grecs ; Origène et Jean Chrysostome l’ignorent ; parfois elle est insérée à la fin de Jean ou même dans l’évangile de Luc.  En tout cas la tradition l’a fixée au centre de l’ensemble des chapitres 7 et 8 de Jean : c’est ce contexte qui en fait découvrir l’interprétation.  LA FETE DES TENTES (encore fêtée aujourd’hui)  En fin d’année, après les vendanges, tout Israël célèbre dans une joie débordante la Fête des Tentes : on implore Dieu de donner les pluies d’hiver indispensables et surtout on commémore la longue marche des ancêtres qui, campant dans le désert du Sinaï, marchaient vers la terre promise et Moïse avait fait jaillir de l’eau du rocher. Jésus est monté en pèlerinage et sa présence suscite des débats houleux : est-il oui ou non le Messie ? Comment enseigne-t-il alors qu’il n’a pas fait les études ? Le dernier jour de la Fête, pendant le rite solennel de libation, il proclame : « Que celui qui a soif vienne à moi ! » Excédés par ce Galiléen au comportement scandaleux, les autorités sont décidées à le mettre à mort. Le grand tribunal du sanhédrin a envoyé des soldats pour l’arrêter mais, saisis par les paroles de Jésus, ceux-ci n’ont pas osé mettre la main sur lui. Seul un notable, appelé Nicodème, a demandé que l’on procède d’abord à un procès en bonne et due forme  mais il s’est fait remballer par ses collègues. Dépités les juges rentrent chacun chez eux tandis que Jésus va passer la nuit au mont des Oliviers. 

LE LENDEMAIN : LA FETE DE LA JOIE DE LA TORAH

La Torah est vraiment la source d’eau vive, le message qui fait vivre ceux qui l’observent. « Ta Parole, Seigneur, est Vérité et ta Loi, délivrance ». En ce jour, les rabbins circulent dans la foule en exhibant les rouleaux sacrés des Ecritures : transportés d’allégresse, les fidèles dansent et ils baisent les livres qui offrent la révélation de Dieu et donnent la vie à son peuple.  Dès l’ouverture des portes, Jésus est revenu au temple et y reprend son enseignement.  Tout à coup brouhaha : un petit groupe de scribes et pharisiens surgit entraînant une femme terrorisée. « Cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère : la Loi prescrit de la lapider. Toi, qu’en dis-tu ? ». Le pouvoir romain s’étant réservé le droit des exécutions capitales, ces hommes savent bien qu’ils n’ont pas le droit d’exercer cette sentence : la question est un piège pour pouvoir accuser Jésus. Et d’ailleurs pourquoi n’ont-ils pas aussi amené l’amant car la Loi prévoit de punir les deux coupables en même temps ? Sans un mot, Jésus se penche (pourquoi ajouter à la honte de cette femme transpercée par les regards méprisants de tous ces hommes ?) et du doigt il trace des traits dans la poussière. Ecrit-il quelque chose ou veut-il dire que son message à lui n’est pas gravé de manière incorrigible dans les tables de pierres, telles les lois données par Moïse qui peuvent devenir des projectiles pour tuer ceux qui les enfreignent ? L’Evangile est une parole de douceur qu’il faut laisser porter par l’Esprit. Autant en emporte le Vent.  Les juges exigent réponse : la voici : « Que celui d’entre vous qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Et Jésus se penche et se remet à griffonner par terre.  La parole de Jésus ne blesse pas, ne tue pas : elle brille et place chacun devant sa vérité. Un à un les juges – à commencer par les plus âgés qui ont heureusement gardé un peu de mémoire – se retirent. Le cercle mortifère se désintègre. Là encore chacun rentre chez soi (cf supra).  Ils ne sont plus que deux : la femme et Jésus. « La misère et la miséricorde » dit magnifiquement saint Augustin. Et Jésus se redresse : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée – Personne – Moi non plus  je ne te condamne pas : va et désormais ne pèche plus ». « Femme… » ? Curieux car c’est ainsi qu’un mari appelle sa femme ! Voilà qui fait basculer notre méditation. 

L’ALLIANCE EST CONJUGALE

Les scribes ne voyaient dans la Loi qu’un code de préceptes à observer impérativement. Mais le prophète Osée, à partir de son expérience personnelle, avait enseigné que la Loi n’est que le contrat écrit d’une Alliance qui est conjugale. Dieu aime Israël comme un époux aime son épouse et hélas, celle-ci lui est infidèle en se laissant aller à l’injustice, à la convoitise, à la corruption, au mensonge. C’est pourquoi le  péché ne se réduit pas à une infraction à un règlement : il est un acte d’adultère, une trahison de l’amour. Or, et là est la merveille, Dieu constate combien son peuple le trompe, le trahit et néanmoins il ne peut s’empêcher de continuer à l’aimer.  Mais alors cette femme adultère (sans amant) ne représente-t-elle pas Jérusalem, Sion, la communauté que Dieu chérit comme une épouse à laquelle il s’est lié, qui lui est infidèle mais à qui il pardonne toujours ? Dans la suite du chapitre 8 de Jean, Jésus justifie sa conduite : « Je suis la Lumière du monde : celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière qui conduit à la vie ». Dans le désert jadis, les Hébreux étaient guidés par une colonne de feu, symbole de la présence divine qui lui indiquait le chemin de la terre promise. Ici c’est Jésus qui s’approprie cette image : celui ou celle, comme cette femme, qui a confiance en lui peut poursuivre son chemin avec assurance. La clarté de la miséricorde de Jésus le rejoint dans sa nuit, illumine ses ténèbres et l’oriente vers les bras du Père.  Jésus lance à ses adversaires : « Vous jugez de façon purement humaine : moi je ne juge personne. Et s’il m’arrive de juger, mon jugement est conforme à la vérité parce que je ne suis pas seul : il y a aussi Celui qui m’a envoyé….Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme (sur la croix du Golgotha qui est son trône), alors vous saurez que JE SUIS ». Furieux devant ce qui leur paraît un horrible blasphème, « ils ramassèrent des pierres pour les lancer contre lui mais Jésus se déroba et sortit du temple ». La sentence contre la femme se tourne contre lui. Mais ils ne parviendront à leur fin qu’à la prochaine fête du printemps : à Pâque, il sera donné à tous d’accéder à la révélation suprême. «  Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme (sur la croix du Golgotha qui est son trône), alors vous saurez que JE SUIS ».  

LA FEMME DEVANT SA CONDAMNATION 

Après des siècles de jansénisme, d’obsession du péché et de la tyrannie des scrupules, notre société a adopté une conception relativiste où il importe toujours de comprendre, faire la part des choses, ne pas complexer. Il faut souligner ici l’attitude de la femme. Elle ne se soustrait pas au jugement de la Loi, ne cherche pas à apitoyer sur son sort, n’implore pas des circonstances atténuantes, n’accuse ni son époux (qui l’aurait blessée) ni son amant (qui l’aurait séduite). Epouvantée devant la sentence, honteuse devant l’entourage, elle se tait. Figée dans sa vérité. Sans dénégation.  Pour qu’il y ait miséricorde, il faut qu’il y ait misère. Et misère reconnue. Et c’est cette pauvreté, cette solitude, cette épouvante où l’enferment ses juges, qui touche Jésus. La sentence l’emprisonne dans son passé pécheur, la parole de Jésus lui offre un avenir d’espérance. « Va »….Mais « désormais ne pèche plus ». Il ne la somme pas de promettre de ne plus retomber, il sait sa faiblesse incurable. Mais il lui demande de lutter, d’appeler « péché » ce qui est péché. Et lui, l’Innocent, le sans péché, il prend sur lui la peine qu’elle méritait. Il fait une croix – sa croix – sur sa faute. L’Epoux donne sa vie pour faire miséricorde à son épouse !  Bientôt, lors de la Veillée pascale, nous reprendrons la merveilleuse et scandaleuse acclamation de l’Eglise, femme toujours souillée, femme toujours aimée : « FELIX CULPA -  BIENHEUREUSE FAUTE ».  Seule la misère fait ouvrir les yeux sur la Miséricorde.