Frères et soeurs,
Connaissez-vous le paradoxe du menteur? Il s’agit d’une contradiction logique qui pourrait être résumée par la situation suivante. Imaginez qu’une personne vous dise: « Je mens ». Je vous demande maintenant quelque secondes d’attention… Si ce qu’elle dit est vrai, alors ce qu’elle dit est faux, puisqu’elle ment ! Et si ce qu’elle dit est faux, cela veut dire qu’elle ne ment pas… et qu’elle dit donc la vérité ! C’est tout simplement une situation paradoxale, une énigme qui a donné du fil à retordre aux philosophes durant des siècles… Pour ceux qui me suivent encore, le logicien dira qu’ « aucune proposition ne peut exprimer quelque chose au sujet d’elle-même » ! Autrement dit, la vérité d’une proposition ne s’atteste, se vérifie de l’extérieur, par une autre proposition ! Si vous avez déjà décroché, ce n’est pas grave ! Jésus, lui, s’exprime de manière plus claire ! “Nul n’est prophète en son pays”. Comme si la vérité des prophètes que nous sommes, ne pouvait être reçue que de l’extérieur. Cette petite maxime —qui ne doit pas décourager les plus casaniers d’entre nous— nous rappelle fondamentalement qu’on ne s’atteste jamais par soi-même. Sans recul, nous avons d’ailleurs une grande facilité à mentir à nous-mêmes. Pour grandir, avoir une parole prophétique, il faut donc nécessairement un peu de distance, de l’écart, pour que la vérité puisse. Bien souvent donc, c’est l’autre, l’être aimé, le conjoint, le prochain, qui vient faire naître en nous la vérité, et non dire la vérité sur nous. La vérité finalement n’est jamais contenue dans ce que nous disons, mais elle vient de l’extérieur. Dès lors, pour que la bonne nouvelle s’accomplisse aujourd’hui dans notre vie, il faut redécouvrir une réalité toute simple, mais tellement difficile à mettre en pratique. Il s’agit de l’étonnement.
L’étonnement est cette sagesse de l’émerveillement en toute circonstance, cette conviction que notre connaissance, notre foi, est toujours partielle. Il est tellement fréquent d’enfermer les autres, de ne plus se laisser surprendre par eux. Vous le savez, la banalité du quotidien fait que des réputations nous précèdent et que nous perdons ainsi notre capacité à nous laisser étonner. A la synagogue de Nazareth, Jésus n’a eu devant lui que des compatriotes qui pensaient tout savoir de lui. Rien ne laissait présager quelque chose d’exceptionnel dans la vie de ce banal charpentier. Pourtant, avec les personnes que l’on connaît ou croit connaître, seul l’étonnement offre toujours un passage. Seul notre curiosité leur propose toujours un chemin. Seule cette capacité à nous étonner préserve toujours dans leur coeur cette part de mystère. Vraiment, seule cette capacité à s’émerveiller maintient vivant l’amour et permet des sentiments renouvelés. Cet étonnement est donc au commencement de toute relation et de toute sagesse de vie. “Etre amoureux” écrivait d’ailleurs le poète, “c’est toujours rester étonné”
Vous le savez, cette vertu de l’étonnement crée toujours un petit décalage avec le monde qui nous entoure; une manière de questionner les évidences, une façon de ne pas prendre tout au sérieux. D’ailleurs, quand on perd cette capacité de s’étonner, les autres deviennent prévisibles. Et lorsqu’ils sont pré-visibles, ils deviennent tôt ou tard in-visibles à notre coeur. C’est pourquoi, seule cette sagesse de la surprise permet de recréer du lien dans la banalité de notre vie. “Nul n’est prophète en son pays”.
Voilà pourquoi il ne faut jamais se croire chez soi, en pays conquis, mais toujours face à des terres à découvrir, à des horizons jamais atteints. Seul celui qui sait toujours voir dans le visage de l’autre quelque chose de potentiellement indicible restera sur ce chemin de la surprise et de l’étonnement, malgré les exigences et les soucis de la vie. Finalement, l’étonnement est ce qui délie les autres de leurs étiquettes, des cases dans lesquels nous les rangeons, de tout ce qui les enferme. C’est ce qui leur permet de passer leur chemin, d’être libres. La question que nous avons à nous poser est bien la suivante. Grâce à notre étonnement, autorisons-nous vraiment les autres à prendre leur chemin? Nous autorisons-nous d’ailleurs à prendre le nôtre? Mais si à cause des aléas de la vie, de nos souffrances ou de nos peurs, nous perdons cette capacité à nous étonner, nous pouvons garder vive cette confiance que Dieu s’étonnera toujours de ce que nous sommes. Pour celui qui se risque à croire en ce dieu qui s’émerveille, il y aura toujours cette voix divine pour nous dire tendrement: au milieu des peurs et des préjugés: passe, avance sur ton chemin.
Amen.