5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2005-2006

Jn 12, 20-33

L'autre jour, j'ai retrouvé au fond d'un tiroir un petit sac de toile brune et le souvenir m'en est revenu. Dans les années 80, lors d'une retraite, j'avais expliqué les paraboles de Jésus et notamment la première, celle où Jésus se compare à un semeur qui jette les paroles dont beaucoup seront reçues dans l'indifférence, tomberont dans l'oubli...mais quelques-unes s'enfonceront dans des c½urs purs et changeront l'existence de certains.

A la fin de la retraite, une religieuse avait confectionné pour chaque participant(e) un petit sac contenant des grains de blé récoltés dans un champ tout proche et accompagné d'une image avec les mots de l'évangile : " Si le grain ne meurt...".

Plus de 20 ans plus tard, tout est pareil : les petits grains sont toujours là, inchangés, bien durs...mais solitaires et inutiles. Serrés l'un contre l'autre, dans l'obscurité, chacun bien protégé par sa balle, ils peuvent demeurer là encore pendant des années, des siècles peut-être, juxtaposés...solitaires et inutiles.

Pourtant chacun recèle en son c½ur un secret, un merveilleux mystère : la vie !

Il suffirait sans doute que j'ouvre le petit sac, que je sème ces grains dans une bonne terre et la merveille s'accomplirait : viendraient des épis...on les faucherait...on les moudrait...on les cuirait. Enfin ils deviendraient farine, pain, nourriture : VIE !!!!

Encore faut-il qu'ils sortent de leur abri, qu'ils tombent, se perdent dans la glèbe, se laissent broyer : condition absolument nécessaire pour qu'ils accomplissent leur vocation de grains de blé : se craqueler, se mêler les uns aux autres, subir l'écrasement. Mais alors, et alors seulement, ils cesseraient - enfin ! - d'être solitaires et inutiles.

LE FILS DE L'HOMME DOIT DONNER SA VIE ...

Jésus était un homme de la campagne. Dès son plus jeune âge, il a vécu au rythme des saisons, il a observé les paysans au travail, il a sans doute participé aux moissons et aux joyeuses vendanges. Et lorsqu'il mordait dans le pain cuit par sa maman, il savait la destinée des grains de blé et rendait grâce à son Père des cieux qui, par eux, lui donnait de vivre.

Aussi, tout naturellement, lorsqu'il entre à Jérusalem parmi une foule en délire qui croit que ce héros va lui offrir victoire sur l'ennemi, honneur national, banquets gratuits et divertissements sans fin, il est sans illusion. Et lorsque ses amis viennent lui annoncer que des Grecs, des païens, voudraient le voir, il reçoit ces mots comme un message de Dieu : Le monde te cherche ! Jusqu'à présent, tu as donné ton argent, ton temps, tes enseignements, des guérisons...Voici le moment de donner ta vie.

Et Jésus interprète sa décision :

" SI LE GRAIN NE TOMBE EN TERRE, IL RESTE SEUL... MAIS S'IL MEURT, IL DONNE BEAUCOUP DE FRUIT"

Aussi, peu après, à table pour la dernière fois avec ses disciples, comprenez-vous pourquoi, en rompant la galette de pain, il pourra leur dire :

" PRENEZ ET MANGEZ-EN TOUS :

CECI EST MON CORPS LIVRÉ POUR VOUS...."

Mes ennemis vont se saisir de mon corps, le tuer, le mettre en terre : mais ce sera trop tard car auparavant, je me serai donné à vous, vous me broierez sous vos dents et je tomberai en vous.

Ma tombe sera vide puisque c'est en vous que je demeurerai.

Et voilà pourquoi Jésus n'a plus été solitaire et inutile : il est devenu peuple en marche, communauté debout, nourriture vivante et vivifiante.

Solidaire et utile.

Et aujourd'hui encore, il est NOUS, nous, les convives invités à ce banquet exceptionnel où nous n'assimilons pas de la nourriture mais où le Pain nous intègre dans SA VIE.

L'AMOUR EST DE SE LAISSER BROYER

Mais ces convives, s'ils cherchent à sauver leur propre vie, s'ils cèdent aux slogans pervers, indéfiniment martelés aujourd'hui ("protège-toi, prends, enrichis-toi, achète, consomme, jouis, accumule...fais comme les autres !"), et même si, dans le même état d'esprit, "ils ont leur messe", ils resteront, en dépit de leur piété, des grains solitaires et inutiles.

Nous aussi, devons briser notre carapace, perdre nos défenses, accepter de tomber de notre piédestal, partager nos biens, nous laisser parfois broyer par les dents (si dures !) des moqueurs et même de nos proches, nous enfoncer dans la pâte humaine, oser dénoncer les injustices flagrantes et les hypocrisies religieuses.

Impuissante et vulnérable, l'Eglise, comme son Seigneur, ne cherche pas les honneurs et les applaudissements des foules. Elle craint les complots, les coups, la haine de ses ennemis ; comme Jésus, il lui arrive d'être angoissée. Mais elle marche vers sa pâque. C'est lorsque d'autres annoncent sa mort, qu'elle est sûre d'apporter la vie aux générations de demain.

En effet, des jeunes païens, déçus par les mirages d'une société qui les gruge par ses mensonges, continuent d'appeler : " Nous voudrions voir Jésus". Si nous nous calfeutrons à l'abri de nos certitudes, protégés par nos traditions, riches de nos avoirs, crispés sur nos possessions, nous serons solitaires et inutiles.

Il nous faut suivre Jésus, c'est-à-dire obéir à son appel, crier la Bonne Nouvelle, donner notre vie, nous exposer, pauvres, fragiles.

Alors nous serons solidaires et utiles.