Il y a quelques années au cours d'une prédication, le prieur du couvent dominicain d'Oxford disait ceci aux fidèles : si vous aimez l'argent, le sexe et la violence, lisez la Bible. Il faut dire que l'évangile de ce jour ne fera que confirmer de tels propos. Mais ce matin, je voudrais avec vous, méditer plutôt sur tout ce climat de violence que nous retrouvons dans ce passage de la femme adultère. [Il y a quelques jours, monsieur Demol, qui est assis ici à ma droite à la deuxième rangée, me faisait gentillement remarquer que mes homélies étaient devenues un peu trop classique. Je suis heureux de le rassurer aujourd'hui, l'évangile parle de sexe et de violence. Tiens, c'est étonnant, en prononçant les mots sexe et violence, tout à coup, les gens se taisent même au troisième étage de cette église. Afin de ne pas incommoder votre épouse et au risque de vous décevoir, je ne m'attarderai pas tant sur la question de l'adultère mais plutôt sur celle de la violence.] Violence qui existe également en nous et que nous serons invités tout à l'heure à nous déposséder pour retrouver par le pardon de Dieu une certaine sérénité au plus profond de nos êtres. C'est pourquoi, il nous a paru intéressant de vous proposer deux récits de lapidation pour cette célébration du pardon : celui de la femme adultère et celui de la lapidation d'un mendiant décrit dans la vie d'Apollonius de Tyane, gourou célèbre du deuxième siècles après Jésus-Christ.
Dans ce récit, les Ephésiens sont d'humeur pacifique et défavorables à toute lapidation. Aucun Ephésien ne semble décider à lancer une pierre. Ces braves gens ne peuvent pas se résoudre, froidement, à massacrer un de leurs semblables, si misérable, si dégoûtant et insignifiant soit-il. Par contre la foule qui amène la femme adultère à Jésus est d'humour combative et pourtant elle ne lapidera pas. Dès lors pour arriver à ses fins, Apollonius doit distraire les Ephésiens de l'action qu'il leur demande de commettre en les aidant à oublier la réalité physique de la lapidation. Comment ? Tout simplement en accusant ce pauvre mendiant d'être un ennemi des dieux. En effet, écrit René Girard dans son dernier livre intitulé « Je vois Satan tomber comme l'éclair », pour rendre la violence possible il faut démoniser celui dont on veut faire une victime. Le gourou d'Ephèse réussit puisque les habitants se mettent à lapider cet homme. Et voilà qu'une foule au départ bien calme se met à détruire un des leurs.
Le récit évangélique est tout le contraire, la foule est excitée et pleine de violence. Pour ne pas exciter une telle violence qui pourrait dégénérer, Jésus se baisse et se met à écrire avec son doigt sur le sol. Ce n'est pas parce qu'il veut écrire quelque chose que Jésus se penche, je crois. Non je pense plutôt que c'est parce qu'il se penche qu'il se met à écrire dans la poussière. Il s'est penché pour tout simplement éviter le regard de cette foule aux yeux injectés de sang. En effet, si Jésus avait posé son regard sur eux, ceux-ci n'auraient vu que leurs yeux de haine à eux, ils n'auraient plus vu son regard à lui tel qu'il était réellement. Ils auraient transformé le regard du Christ en un miroir de leur propre colère. C'est leur provocation, leur défi qu'ils liraient dans le regard de Jésus, si paisible soit-il en réalité. Ils se sentiraient provoqués en retour. L'affrontement ne pourrait plus être évité et il entraînerait probablement ce que Jésus s'efforce à tout prix d'éviter : la lapidation de la femme. Jésus évite donc jusqu'à l'ombre d'une provocation. Agissant de la sorte, il peut alors leur dire : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Jeter le première pierre est devenue une expression populaire que tout le monde répète puisque même les étudiants en guindaille la paraphrase : « Que celui qui n'a jamais péché, me jette la première bière ».
Mais revenons à cette première pierre. Celle-ci n'est pas une pierre parmi d'autres elle est décisive parce qu'elle est la plus difficile à jeter. En effet, la première pierre est la seule à ne pas avoir de modèle. En attirant l'attention sur cette fameuse première pierre, Jésus en fait un véritable obstacle à la lapidation. Plus ceux qui songent à jeter la première pierre se rendent compte de la responsabilité qu'ils assumeraient en la jetant, plus il y a des chances que cette fameuse première pierre leur tombe des mains. Cette responsabilisation empêche tout être humain d'entrer dans l'escalade, dans le cercle vicieux de la violence. Cette première pierre nous invite à réfléchir à ce que nous faisons, à en assumer les conséquences, à regarder tout simplement devant sa propre porte. Ce que Jésus nous fait découvrir dans ce récit de la femme adultère c'est qu'il suffit parfois de peu pour calmer et faire taire la violence : s'abaisser et parler d'une première pierre. Ce matin, (ce soir), nous sommes nous aussi conviés à nous abaisser un instant sur nos violences intérieures pour les poser symboliquement dans un petit caillou. Ce dernier après l'imposition des mains, nous vous invitons à la déposer dans le panier qui vous sera présenté. Ne nous lapidons pas mais recevons comme un cadeau du Ciel cette conclusion : « moi non plus je ne te condamne pas. Va, désormais, ne pèche plus ».
Amen