5e dimanche de Carême, année C

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013


Ces dernières années, un nouveau fléau a pris sur internet et sur les réseaux sociaux une tournure fort inquiétante, notamment auprès des jeunes. ?Ce phénomène s'appelle cyber-bullying. Comme souvent --lorsqu'il s'agit d'une réalité nouvelle-- la langue française tarde à trouver un mot pour la décrire, alors il nous faut recourir à l'anglais. Le cyber-bullying provient de bully, qui signifie intimider et malmener. Il s'agit d'une intimidation virtuelle et publique, d'une sorte de lapidation sur internet, où les pierres sont remplacées par des insultes et par des commentaires menaçants et anonymes, etc... A chaque fois dans le cyber-bullying, une personne est victime de la publication d'accusations provenant d'un groupe d'anonymes.

Et avouons que l'évangile de ce jour est d'une extraordinaire actualité. ?Sans exagérer la comparaison, voici que l'évangile d'aujourd'hui nous présente une forme similaire de déchainement violent, un procès baclé, une sorte de lynchage public en face du Temple, avec du côté de l'accusation des pharisiens anonymes réfugiés derrière leur Loi et du côté de l'accusé... à première vue cette femme, mais en réalité Jésus.

Si nous reprenons le texte, nous avons une femme, seule, dans son individualité pécheresse. Ensuite, les pharisiens l'enferment dans une catégorie. Ils invoquent que Moïse a ordonné de lapider «ces femmes-là »... Voilà cette femme publiquement mise dans une catégorie et réduite à ses actes. D'elle, nous ne savons absolument rien. Avait-elle des circonstances atténuantes ? ?Peu importe. Pour les Pharisiens, le vrai procès n'est pas dirigé contre elle, mais contre Jésus qu'ils veulent prendre en flagrant délit de pardon.?
Cette femme est le symbole de tout être humain -- vous comme moi-- qui se trouve parfois réduit à son erreur, enfermé dans un acte passé ou victime d'une spirale. Et lorsqu'on est intransigeant comme ces pharisiens, c'est bien souvent parce qu'on n'arrive pas à l'être avec soi-même... Et voilà maintenant que ce jeu des Pharisiens se retourne contre eux. En effet, par son attitude, Jésus confronte les pharisiens à eux-mêmes, sans les humilier. Il ne les enferme pas en retour dans un groupe, mais les confronte à leur singularité. « Que celui qui n'a jamais péché lui jette la pierre» dit-il. ???Jésus ne plaide pas. Il ne prend pas parti. Mais il écrit dans la glaise de notre singularité. Dans les évangiles, c'est la seule fois où Jésus écrit. Les Pharisiens, en bons juristes, savent que les paroles s'envolent et que les écrits restent. Ironiquement, Jésus nous invite à découvrir le contraire. Ses écrits dans le sable peuvent bien s'envoler, sa parole de pardon reste et n'a rien d'éphémère.

Voilà le retournement complet de situation auxquels les pharisiens sont confrontés : à se réfugier derrière la loi, ces tables en pierre qu'ils connaissent par c½ur, voilà que cette loi devient pierre pour leur propre lapidation. Oui, leur propre lapidation... car ils sont, permettez-moi l'expression, eux aussi des adultères... Car l'adultère est le fait de tromper quelqu'un avec lequel on est officiellement lié, comme ces pharisiens qui trompent et déforment la loi qu'ils sont tenus de suivre!

Voulant mettre Jésus à l'épreuve, les pharisiens sont eux-mêmes mis à l'épreuve. Voulant accuser, ils sont renvoyés eux-mêmes devant leur propre chef d'accusation. «Dis moi comme tu accuses les autres, et je te dirai de quelle contradiction tu souffres». Rien de neuf sous le soleil : ?accuser l'autre, c'est bien souvent s'accuser soi-même de manière inconsciente, pour faire supporter à quelqu'un d'autre une contradiction ?qu'on n'est pas capable de porter... ?La sagesse populaire nous rappelle d'ailleurs que lorsque nous pointons un index accusateur vers quelqu'un, on ne voit pas que trois autres doigts sont dirigés vers nous... ??Les pharisiens sont arrivés en groupe, ils sont repartis un par un, ?confrontés à eux-mêmes. La femme est arrivée derrière une étiquette, elle repart dans sa singularité, confrontée à elle-même.

S'il en est ainsi, l'évangile nous rappelle que nous ne sommes pas ce que nous avons fait ou ce que nous avons dit car le mystère de notre existence ne peut nous réduire à nos actes. Certes, nos égarements comme nos actes de bienveillance parlent de nous, mais ils ne disent pas ce que nous sommes.

Alors, à chacune et chacun d'entre nous, de nous confronter à nous-mêmes, ?et de répondre à cette question qui nous est adressée personnellement: ?«Où es-tu?», écho de ce «humain, où es-tu?» que Dieu murmure à chaque instant au plus intime de nous-mêmes. Amen.