L'évangile de ce dimanche est une énigme : en effet il ne figure pas dans les manuscrits les plus anciens ; parfois il est inséré à une autre place dans le texte de Jean ; ou on le trouve dans Luc ; enfin son style n'est guère johannique. On en déduit qu'il s'agit d'une tradition indépendante, insérée plus tard dans l'évangile de Jean. Il reste que nous l'estimons comme une perle de l'Evangile.
Les chapitres 7 et 8 de Jean se déroulent à Jérusalem pendant les 8 jours de la grande fête des Cabanes. Bravant les menaces qui pèsent sur lui, Jésus est monté en pèlerinage ; harcelé de questions, il sait que certains veulent sa mort (7, 19. 25). Le dernier jour de la fête, en plein temple, il a osé lancer l'invitation : « Celui qui a soif qu'il vienne à moi », désignant ainsi l'Esprit, commente Jean (7, 37). Les autorités ont envoyé des soldats pour l'arrêter (7, 32) mais ceux-ci, émerveillés par les enseignements de Jésus, sont rentrés bredouilles (7, 45). Nicodème, membre du Sanhédrin, a insisté près de ses collègues pour que Jésus ne soit pas condamné sans être au préalable entendu mais on a rejeté sa demande (7, 50-52). Le climat s'alourdit et l'étau se referme sur Jésus. Une occasion va se présenter.
Jésus s'était rendu au mont des Oliviers. De bon matin, il retourna au temple de Jérusalem.
Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner.
C'est dans une cabane de cette colline qu'il a l'habitude, comme bien des pauvres, de passer la nuit avec ses disciples. Dès l'aube, en dépit du danger, il retourne sur l'esplanade du temple pour y poursuivre son enseignement que le peuple semble beaucoup apprécier. Or en ce jour a lieu la fête de SIMHAT TORAH, « La joie de la Torah » : toute la ville explose en réjouissance, on vénère les rouleaux des Ecritures et tous rendent grâce à Dieu pour le don extraordinaire de sa Loi qui donne à Israël liberté et vie.
Or c'est précisément en ce jour que certains vont utiliser cette Loi comme arme de mort !
Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu'on avait surprise en train de commettre l'adultère. Ils la font avancer et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi qu'en dis-tu ? » (Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve afin de pouvoir l'accuser).
Mais Jésus s'était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol.
La femme a été prise sur le fait pour un péché très grave, formellement interdit par le 6ème commandement du Décalogue (Ex 20, 14) mais une loi condamnait à mort les deux partenaires (Lév. 20, 10). Où donc est l'homme ? Pourquoi semble-t-elle seule coupable ? Et pourquoi viennent-ils demander son avis à Jésus ? Parce que, à l'époque, la sentence de mort était l'objet de débats et non appliquée puisque seul le Pouvoir romain exécutait la peine capitale. Jean explique : leur démarche a pour but de tendre un piège à ce Jésus qu'ils exècrent. Quoi qu'il dise, on pourra l'accuser : ou de bafouer la Loi juive ou de défier le privilège romain. C'est à lui qu'ils en veulent plutôt qu'à la femme.
Sans répondre, Jésus s'incline et, du doigt, trace des traits dans la poussière. Est-ce pour paraître comptabiliser les fautes de ces hommes ? Le geste curieux voudrait peut-être évoquer un passage du prophète Jérémie où Dieu déclare : « Ceux qui se détournent de moi seront inscrits sur le sol » (Jér. 17, 13) c.à.d. retourneront à la poussière donc à la mort. Son mutisme exacerbe la colère de ses adversaires qui cherchent à tout prix à le coincer en lui arrachant une réponse sur une question juridique. Mais, plongeant plus profond au-delà du texte de loi, Jésus va s'adresser à leur conscience.
Comme on persistait à l'interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre ». Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Alors, sur cette réponse, ils s'en allaient l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés.
La Loi est utile, importante, nécessaire et un juge peut être conduit à infliger une punition même sévère au malfaiteur. Mais le juge est un homme, il a une conscience, il doit, lui le premier, observer toutes les lois dans leur intégralité : peut-il froidement utiliser une loi pour enlever la vie à un coupable ?
Au fond peut-il exister une condamnation à mort ? Dieu lui-même n'avait-il pas mis un signe de protection sur Caïn, le fratricide, afin d'arrêter la vengeance du sang ? (Gen 4, 15). Le Catéchisme de l'Eglise catholique n'excluait pas la peine de mort « dans des cas d'extrême gravité » (n°2226) mais ensuite, dans Youcat, la version jeune, l'interdiction est nettement prononcée et les deux derniers papes se sont prononcés pour son abolition totale dans le monde (notamment aux U.S.A.)
L'interpellation surprenante de Jésus désintègre le cercle mortifère : sortant de leur légalisme rigide, de leur agressivité contre la femme et de leur fureur aveugle contre Jésus, les hommes ne forment plus un bloc qui s'est autoproclamé « juste ». Chacun est placé devant sa conscience, appelé à une décision personnelle. Tous - « « les vieux d'abord », note, amusé, Jean-, s'écartent et se dispersent.
Jésus resta seul avec la femme en face de lui. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Alors personne ne t'a condamnée ? ». Elle répondit : « Personne, Seigneur ». Et Jésus lui dit : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus ».
L'attitude de la femme est à remarquer depuis le début. Quelle honte d'être ainsi traînée sur la place publique, désignée au mépris de tous ! Quelle terreur devant l'éventualité de l'exécution ! Mais elle se tait : elle ne nie pas la réalité de son méfait (flagrant délit), elle ne cherche aucune excuse, n'accuse ni son mari ni son amant ni une pulsion incontrôlable. Et lorsque ses accusateurs se détournent, au lieu de vite s'enfuir, elle demeure face à Jésus.
Comme disait admirablement saint Augustin, « ils restèrent deux, la misère et la Miséricorde ».
L'interdit de l'adultère demeure car Jésus ne supprime pas la Loi mais il refuse d'en faire un instrument de mort et il ouvre à la femme un nouvel avenir. « Va et ne pèche plus ». Il ne s'agit pas d'un coup d'éponge facile pour effacer une faute anodine car cet avenir n'ira pas sans grandes difficultés : comment va réagir son époux ? Et son amant ? Et l'entourage ? ...
Le pardon ne règle pas tous les problèmes mais il donne une espérance pour rebâtir son existence : « Ne pèche plus ». Reconstruisez votre couple avec patience, arrêtez la duplicité, et ne devenez pas, à votre tour, des juges implacables des fautes d'autrui. Car le pardon de Dieu est la grande arme pour devenir soi-même miséricordieux. La main qui a fauté ne peut plus se refermer sur une pierre à lancer contre l'autre.
LA FEMME : JERUSALEM ... ISRAËL ... L'EGLISE
Le style du récit ouvre sur une interprétation symbolique. Depuis le prophète Osée, Israël a appris que l'Alliance de Dieu n'est pas un simple contrat juridique, l'imposition d'une Loi par une divinité sévère mais bien une relation conjugale fondée sur l'amour. C'est pourquoi lorsque la communauté est infidèle à la Loi, lorsqu'elle trahit l'Alliance, elle est dite « adultère », « prostituée ». Ainsi le prophète Jérémie attribue à Dieu cet oracle menaçant : « Parcourez les rues de Jérusalem : y trouvez-vous un seul homme qui pratique le droit ?...Ils refusent de revenir...Dans ces conditions, comment te pardonner ?...Je les ai comblés et pourtant ils commettent l'adultère...Ne dois-je pas sévir contre eux ? » (Jér 5, 1-9).
La femme représente donc Jérusalem infidèle qui devrait être condamnée par sa Loi même. Mais avec Jésus, la terrible menace se transforme en pardon. A deux reprises, Jean répète que Jésus s'abaisse puis se redresse : n'est-ce pas le mime de la Pâque qu'il va vivre bientôt ? Car les responsables du temple, s'ils n'ont pas réussi à exécuter la femme, vont se déchaîner contre Jésus, ce blasphémateur, l'encercler (10, 24), l'arrêter et le mettre à mort « au nom de la Loi » ! Il subira au Golgotha la sentence de mort dont il avait sauvé la femme mais, abaissé dans la mort, il se relèvera dans la Vie.
Ainsi, prenant sur lui la condamnation méritée par nos fautes, il permettra à tous les « adultères » que nous sommes, de ne plus être écrasés par une Loi mortifère et de pouvoir rebondir vers un avenir nouveau. L'Evangile ne nie pas la réalité du péché mais n'enferme jamais l'homme dans la souillure de son passé. Un avenir est toujours possible : « VA ! ». C'est pourquoi il est vraiment JOIE DE LA TORAH.