Dans une vie antérieure, lorsque j'étais aumônier de prison, j'étais toujours frappé par la parole des détenus qui allaient quitter ce lieu soit parce qu'ils arrivaient au bout de leur peine, soit parce qu'ils étaient libérables sous condition. Peu de temps avant leur départ, je m'autorisais à leur poser la question suivante : « et vous, qu'allez-vous faire en premier lieu en quittant le milieu carcéral ? » Ce qui m'étonnait toujours, c'était que la majorité des détenus avaient la même réponse. « Quand je sortirai, Monsieur l'aumônier, j'irai voir la mer ». Et oui, la mer. Mais pourquoi la mer ? leur demandai-je. « Parce que la mer offre un grand sentiment de liberté. Il n'y a pas de murs dans la mer. Il n'y a plus de frontières visibles dans les océans. Seulement l'horizon, à perte de vue. Sur la mer, nous partons au large ». Je nous invite alors à nous poser la même question. Et si j'étais, moi, dans cette situation, après avoir été enfermé, dans mon corps ou dans mon âme, pendant plusieurs mois, voire des années, que ferais-je à l'instant de ma propre libération ? A chacune et chacun d'entre nous d'y répondre. Reconnaissons que si nous n'avons pas fait l'expérience du monde carcéral, nous pouvons malgré tout être également enfermés en nous-mêmes par une foule d'éléments, certains très préoccupants et d'autres plus anodins. Nous pouvons, nous aussi, avoir le sentiment d'être envahis, submergés par notre propre petit monde. Il y a parfois tant de mondes différents qui habitent en nous que nous n'avons plus l'impression d'exister par nous-mêmes comme si notre prénom était devenu « foule » : f.o.u.l.e. Foule d'événements difficiles à vivre, foule de souffrances et de maladies qui n'en finissent pas, foule d'énervements et d'impatience. Tant de foules foulent aux pieds de nos existences. Heureusement, pour nous, il y en a d'autres plus heureuses : les foules de moments d'amour et d'amitié, les foules de gestes de tendresse et de parole de réconfort, les foules de regards de douceur offerts. Et avec le temps laissé au temps, nous ne les voyons plus toujours. Nous sommes trop pris par l'événement de l'instant présent. Pour nous retrouver, nous devons oser prendre le risque de quitter toutes ces foules qui nous compressent en nous-mêmes. Nous sommes conviés à partir au large de nos histoires respectives. A l'instar de Jésus, dans l'extrait d'évangile que nous venons d'entendre. Lui aussi ressent le besoin de quitter la foule un instant. Non pas pour s'en éloigner à jamais mais plutôt pour reprendre une certaine distance qui lui permet de mieux voir, de mieux percevoir la réalité de leurs désirs et de leurs attentes. En effet, même pour l'ascensionniste, une montagne est souvent plus claire vue de la plaine. S'il en est ainsi, alors éloignons-nous aussi de nos foules intérieures quelques soient joyeuses ou encombrantes. Prenons le large de notre c½ur pour mieux nous réapproprier ce qui fait à la fois la richesse de nos vies et la dureté de certaines périodes à traverser. Quittons ces diverses foules et prenons quelques instants ce large pour partir à la rencontre de nos profondeurs. Dans la profondeur de nos existences, au large de nos foules personnelles, nous pouvons alors découvrir ou redécouvrir la richesse et l'essence même de nos existences. Dans les eaux profondes de nos mers intérieures, nous traversons des tempêtes apaisées et des moments de grand calme. Dieu le Fils nous invite à remonter sur les barques de nos vies et de partir vers cet horizon en toute confiance comme ses disciples ont pu en faire l'expérience. Tout comme eux, offrons notre confiance à Dieu et naviguons avec Lui sur les mers de nos histoires blessées. En plongeant dans la profondeur de notre âme et de notre c½ur, nous retrouverons un ensemble de richesses qui font la beauté de notre pèlerinage terrestre. En nous, jetons les filets de la mémoire et de l'espérance pour trouver ou retrouver les énergies nécessaires qui nous permettront à la fois d'affronter nos expériences présentes mais aussi d'être à nouveau capable de nous réjouir de ces multitudes de petits bonheurs qui parsèment nos journées lorsque nous prenons le temps de nous arrêter pour nous en rendre compte. Tout comme les disciples, cette mise au large de nos foules personnelles ne se fait plus seul. Nous sommes accompagnés par le Fils qui nous guide dans cette voie au c½ur de nos plus profondes profondeurs. Que l'Esprit de Dieu souffle en nous pour que nous partions sans crainte et en toute confiance vers ce lieu intérieur où se noue la rencontre entre Dieu et nous. Que la mise au large éclaire nos vies d'une lumière nouvelle vers un horizon sans frontières avec l'espérance que le Seigneur s'est embarqué avec nous dans l'aventure de la vie.
Amen.