5e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013


Il y a une vingtaine d'années, à la sortie d'une messe de mariage que je venais de célébrer, mon supérieur de l'époque vint vers moi avec un air très contrarié me disant : « Philippe, il ne faut pas confondre les lieux.  L'église n'est pas un endroit où l'on peut faire de l'humour ». Je l'ai alors regardé et avec un large sourire, je me suis permis de lui répondre : « dommage pour toi.  Il ne fallait pas m'envoyer faire mes études de théologie en Angleterre.  Car là-bas, j'ai découvert que l'humour avait toute sa place dans les églises.  Tu devras donc t'y habituer car je ne changerai pas ».  Il quitta la sacristie en bougonnant.  Mais peut-on rire dans une église ?  Il est vrai que de nombreux chrétiens sont souvent tellement sérieux quand ils sont dans un tel lieu.  Il y a un équilibre à trouver entre intériorité et plaisir d'être ensemble.  Autre question tout aussi importante : Jésus avait-il le sens de l'humour ?  Certains en doutent.
Et pourtant, à cette question, il est aisé de répondre positivement et ce, sur base de l'évangile que nous venons d'entendre.  Il est vrai que l'humour du Fils de Dieu est très fin.  Revenons au texte.  Dans un premier temps, Jésus invite Pierre à avancer au large et à jeter les filets pour prendre du poisson.  Le pêcheur par définition va chercher des poissons vivants et en les retirant de l'eau, il les fait mourir.  Telle est la condition même de toute pêche : passer de la vie à la mort.  Suite à cela, le Christ s'adresse de nouveau à Pierre et lui dit : « désormais ce sont des hommes que tu prendras ».  Et c'est ici que ce situe l'humour du Christ.  Il reprend la même image de la pêche mais il l'inverse complètement.  En effet, être pêcheur d'hommes, c'est conduire les êtres humains de la mort à la vie.  Voilà donc la mission qui est confiée à chacune et chacun d'entre nous.  Devenons des pêcheurs d'humains.  Heureusement pour nous, le pêcheur est loin d'être une personne merveilleuse, dotée de qualités exceptionnelles.  La pêche divine n'est pas une tâche réservée à quelques privilégiés.  Toute personne peut devenir pêcheur d'humains.  Notre Dieu nous prend là où nous en sommes, tels que nous sommes.  Un peu à l'image des trois personnages clés des lectures de ce jour : Isaïe est un homme aux lèvres impures, Paul se définit comme un avorton n'étant pas digne d'être appelé Apôtre et Pierre demande à Jésus de s'éloigner car il est un homme pécheur.  Trois hommes, trois frères dans la foi, trois êtres qui sont loin d'être parfaits.  Ils sont comme nous, humains, sur le chemin de leur vie.  Ils avancent à tâtons avec leurs doutes et leurs espérances.  Et pourtant, ce sont précisément ces hommes-là que Dieu choisit pour poursuivre son ½uvre créatrice.  S'il en est ainsi, toutes et tous, aujourd'hui, nous sommes également dignes de cette mission. Devenons des pêcheurs d'humain vivants. Il est heureux que nous ayons autour de nous ou que nous soyons pour les autres, ces personnes qui jettent leurs filets dans l'océan de la vie qui n'est pas toujours aisée.  Lorsque nous la traversons, nous nous confrontons à l'injustice de la souffrance, au mal gratuit, aux conséquences de l'égoïsme de certains et nous pouvons nous sentir tirés vers les eaux profondes.  En nous aussi, il y a des zones qu'il nous est parfois difficile d'accepter, de vivre avec.  Nous avons nos propres failles qui peuvent nous blesser nous-mêmes ou nos proches.  Toutes ces réalités personnelles peuvent nous enfermer au risque de nous engloutir au plus profond d'une désespérance.  Il est alors heureux qu'il y ait autour de nous des personnes qui jettent leurs filets pour que nous puissions, à notre tour, nous y agripper.  En agissant de la sorte par la tendresse de leurs regards, par la douceur de leurs mots, par la caresse de leurs gestes, ils nous font passer de la mort intérieure à la vie.  Notre vocation d'hommes et de femmes, à la suite de Jésus, fait de nous des transmetteurs de vie.  Telle est la merveille de l'évangile.  Au cours de l'histoire de l'humanité, il y a eu et il y a encore ces faux prophètes qui peuvent également exister dans nos églises et qui, par leurs propos, cherchent à imposer aux autres des fardeaux impossibles et souvent déshumanisant.  Dénonçons avec force ces personnes car leur attitude est une insulte à l'évangile.  Le Fils de Dieu ne s'est pas incarné pour que nous croulions sous le poids de règles, sous la charge d'attitudes infantilisantes.  Non, le Christ est venu parmi nous pour faire de nous des vivants.  En lançant sur nous le filet de son amour, il fait de nous des pêcheurs d'humains vivants, c'est-à-dire des transmetteurs de vie, des transmetteurs d'amour.  Avec lui, nous passons toujours de la mort à la vie.  Passer de la vie à la mort, c'est se tromper de route.  Passer de la mort à la vie, c'est mettre ses pas dans ceux du Fils de Dieu.  Il n'y a plus à hésiter : devenons des pêcheurs d'humains vivants et des transmetteurs de vie.

Amen