5e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

UN PÉCHEUR PÊCHEUR POUR PÊCHER LES PÉCHEURS

Lors de l'expérience de son baptême, le charpentier de Nazareth a compris qu'il ne construirait plus les maisons de son village mais qu'il lui fallait reconstruire l'humanité blessée et chancelante. Que cette ½uvre immense que Dieu son Père lui confiait était le travail le plus urgent à accomplir, sans perdre une minute. Il circule donc en Galilée et il fait deux choses: il parle et il guérit les malades. Evidemment son renom de thaumaturge se répand très vite et les foules accourent, le suppliant pour recouvrer la santé.
Mais l'essentiel pour lui n'est pas là : c'est le c½ur de l'homme qui est malade, c'est son âme qu'il faut soigner. Pour cela, un seul moyen : LA PAROLE. Car on ne sauve pas l'homme contre son gré, ni par séduction ni par violence : il faut qu'il écoute, qu'il accueille des mots qui pansent ses plaies intérieures, exorcisent son angoisse et lui donnent un avenir de lumière. Jésus prêche, et ce sera là son occupation principale jusqu'à la fin de sa vie. « Prêcher » : peut-on encore utiliser ce mot qui prête à sarcasme tellement il s'est confondu avec hurler, reprocher, sermonner, menacer ? Jésus ne crie pas : il propose, il explique, il encourage avec des mots tout simples, des images que le petit peuple peut comprendre.
Ses prédications sont de deux sortes.  D'abord il proclame, il annonce la venue du Règne de Dieu. De même que les souverains de l'époque disposaient de hérauts (en grec : « kèrux ») qui parcouraient le pays afin de répandre les nouvelles importantes (victoire militaire, naissance d'un prince...), ainsi Jésus est le héraut de son Père et il proclame la Bonne Nouvelle : avec moi, Dieu vient (ce qu'on appelle par conséquent « le kérygme »). Ensuite il explique : il prouve que sa mission correspond à ce qu'annonçaient les Ecritures, montre quel genre de Messie il est et comment il faut se comporter en tant que citoyen du royaume.
« Kérygme et catéchèse » : annonce et enseignement. L'évangile montre Jésus en cette double action.

Un jour Jésus se trouvait sur le bord du lac de Galilée :
la foule se pressait autour de lui pour écouter la Parole de Dieu.

Les  gens écoutent un homme qui leur annonce la venue du Royaume avec des mots humains mais, écrit saint Luc plus tard, en fait, par Jésus, c'est Dieu lui-même qui leur parle. « Aujourd'hui les Ecritures se réalisent » affirme-t-il, comprenez la valeur unique de ce moment : Dieu vous  prévient qu'il est en train d'entrer en humanité non par des déflagrations fulgurantes et des manifestations spectaculaires mais comme un ami parle à un ami. Sommes-nous « empressés » de nous mettre à l'écoute de cette Parole ? Quelle ruée pour écouter un virtuose, un chanteur, un humoriste, un conférencier...et quel vide lorsque la paroisse propose une écoute de l'Evangile !

Jésus vit deux barques amarrées au bord du lac : les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon et il lui demanda de s'éloigner un peu du rivage.
Puis il s'assit et, de la barque, il enseignait la foule.

Après l'annonce initiale vient le temps de l'explication. Le déplacement de Jésus n'est pas anodin. Il « s'assied », ce qui était la position du maître enseignant devant ses disciples : il est « dans la barque » c.à.d. qu'il domine les profondeurs, il apporte une parole qui clarifie, qui n'est pas engloutie dans l'abîme obscur, qui permet d'affronter les bourrasques de l'existence. Et cette embarcation appartient à Simon, que Jésus connaît bien, qu'il a déjà surnommé Pierre : par là il veut nous apprendre à écouter son même message qui, désormais, sera lancé à partir de la « barque de Pierre », symbole de l'Eglise.      
Là est l'obstacle pour beaucoup ! Reconnaître la beauté de l'Evangile, la grandeur fascinante du personnage Jésus, oui - mais prêter l'oreille à l'Eglise qui tente de divulguer cette même parole, non, jamais ! Scandale d'une Parole divine exprimée en paroles humaines. Et, hélas, il est vrai, elle est si souvent énoncée platement, récitée sans élan, inaudible dans une acoustique déficiente, et même parfois, hélas, déformée ! Mozart n'a pas écrit de la musique pour vendre des partitions mais il l'a laissée dans les mains de ses interprètes. Jésus nous questionne : « Qu'avez-vous fait de mes paroles ? ». Et comment l'assemblée dominicale répond-elle lorsque l'officiant, après la lecture, exhibe le Livre et lance : « Acclamons la Parole de Dieu » ? Si souvent on ne reçoit en réponse qu'un bredouillement ennuyé alors qu'il faudrait un cri de joie et de bonheur puisque Dieu vient de nous faire l'honneur de nous parler. 

Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large et jetez les filets pour prendre du poisson. Simon lui répondit : «  Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre mais sur ta parole, je vais jeter les filets ». Ils le firent et ils prirent une telle quantité de poissons que leurs filets se déchiraient.
Ils firent signe à leurs compagnons de l'autre barque de venir les aider.
Ceux=ci vinrent et ils remplirent les deux barques à tel point qu'elles enfonçaient.

Les pêcheurs du lac ont l'habitude de pêcher la nuit : c'est pourquoi Luc nous a fait remarquer que Simon et son frère nettoyaient leurs filets avant d'aller prendre du repos. Or cette nuit, ils sont restés bredouilles. Et voilà que Jésus leur demande de recommencer. Un charpentier va-t-il faire la leçon à des hommes du métier ? Doit-on reprendre une action que l'on a accomplie sans résultat pendant des heures ? Eh bien oui justement. La foi, c'est aller un pas plus loin que le découragement,  reprendre le sac que l'on vient de déposer, se lever lorsqu'on voulait dormir, aller ailleurs alors qu'on a échoué dans son entourage. « Va au large ». Ne restez pas confinés dans votre territoire mesquin, allez à la recherche d'inconnus qui écouteront ce message que vos enfants rejettent. Ainsi au moment où nos églises d'Occident se vident, les monastères fleurissent en Russie, l'Eglise cambodgienne totalement anéantie sous Pol-Pot renaît de ses cendres, les baptêmes en Chine se comptent par milliers. « Va au large ». Ne te plains pas de tes échecs, surtout ne te décourage jamais.  Eveille-toi et recommence. Toujours plus loin. 

A cette vue, Simon-Pierre tomba aux pieds de Jésus en disant : «  Seigneur, éloigne-toi de moi car je suis un homme pécheur ». L'effroi en effet l'avait saisi, lui et ceux qui étaient avec lui devant la quantité de poissons qu'ils avaient pris. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. 

Pourquoi n'adoptons-nous pas le rite congolais où la demande de pardon a lieu seulement après les lectures et la prédication ? Car de quoi demander pardon en entrant dans une église ? Dieu m'attend-il pour m'accabler de reproches ? Mais lorsque nous avons (vraiment) écouté l'Evangile et les exhortations des prophètes, des Apôtres et du prêtre, devant les merveilles que Dieu accomplit pour nous, alors nous devenons conscients de nos péchés, de nos lâchetés.
Ainsi en ce jour je peux avouer : « Je ne me suis pas empressé d'écouter la Parole de Dieu ; je me suis laissé abattre ; je n'ai pas osé recommencer mon témoignage chrétien ; je me suis désintéressé de la mission ». A ce moment la conscience de pécheur est vraie ; le péché n'est plus un vague remords, un sentiment de culpabilité mais, comme toujours dans la Bible, un refus d'écouter et un émerveillement devant les bienfaits du Seigneur.  
Devant sa prise inattendue, Pierre s'effondre : Oui je suis pécheur. Alors, et alors seulement, parce qu'il avoue sa faiblesse, il peut devenir un « apôtre ». Le 1er sauvé, c'est lui. Sa profession lui fait comprendre que les hommes « s'engloutissent » dans les abîmes, « sont noyés » dans les sollicitations des médias,  « coulent » sous les soucis, « basculent » dans l'ignoble, « sont submergés » par les doutes, « étouffent » dans l'angoisse.   Oh la joie, après avoir écouté la Parole de Jésus, de respirer dans la liberté, de dilater sa poitrine pour recevoir le Souffle de l'Esprit. 
Telle est la mission : elle n'est pas un projet que l'on se donne, mais un appel à accueillir, une ½uvre qu'il faut apprendre à l'école de Jésus, en le suivant, car c'est lui « qui fait les pêcheurs d'hommes ».  Et elle demande de couper les amarres, de rejeter « la pensée unique », de se détacher des habitudes de l'entourage. Peut-on être conformiste et se dire chrétien ?...
Certains ressentiront même l'appel à laisser tout là - métier, parents, entourage - pour partir sur les pas de Jésus. En disant ce qu'il disait. En parlant comme il parlait.