5eme dimanche de Carême B

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 15/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

Dimanche prochain, dit « des rameaux », nous écouterons comment Marc raconte l’entrée de Jésus à Jérusalem : à l’approche de la Pâque, Jésus, assis sur un âne et escorté de ses disciples ravis, est accueilli par la foule qui voit en lui le Messie venant enfin libérer Israël de l’occupation étrangère.

Aujourd’hui nous anticipons la scène grâce au dialogue que Jean a ajouté à l’épisode : il dévoile le drame vécu ce jour-là par Jésus et en même temps nous presse de le suivre sur son chemin.

Il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus.

Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ».

Le pèlerinage étant obligatoire, la ville était remplie de Juifs venus de l’étranger et même de Grecs attirés par la religion d’Israël : intrigués par cette exultation populaire, certains demandent à un apôtre s’il serait possible de « voir », c.à.d. d’avoir un entretien avec leur maître qui a tant de succès.

Sitôt la demande transmise, Jésus l’interprète immédiatement comme un appel : au cadran de l’histoire, son Heure a sonné.

Tout au long de son évangile, Jean avait montré Jésus en route vers un moment mystérieux : à Cana son heure n’était pas encore venue (2,4) ; à la Fête des Tentes, ses ennemis n’avaient pu l’abattre parce que cette heure n’était pas venue (7,30 ; 8,20)….Maintenant cette Heure fixée par Dieu seul est là: l’Heure non de déclencher la révolution violente pour chasser les païens mais de conduire à terme le dessein de Dieu : rassembler Juifs et Nations dans la même unité divine.

Jésus comprend qu’il ne doit pas se montrer à ces quelques hommes qui le sollicitent mais qu’il doit être « vu »- c.à.d. compris, accueilli, cru et vénéré - par les hommes et les femmes de toutes nations.

Il est l’agneau qui s’offre pour accomplir la Pâque définitive : enlever le péché du monde, faire sortir tout homme de la prison du mal, du péché, de la haine et du racisme pour reconstituer l’Humanité droite, juste, pacifique. Lui, le Fils de l’homme, est venu pour sauver toute l’humanité qui n’en finit pas de s’entretuer.

Le paradoxe de ce moment est donc tragique : Jésus n’est pas dupe des joyeuses ovations de ses compatriotes, il va les décevoir en ne provoquant pas l’insurrection qu’ils guettent et ceux-là même qui aujourd’hui l’applaudissent hurleront dans quelques jours : « A mort ! A mort ! Crucifiez-le ».

Mais le refus de certains entraînera l’élan vers les autres. Quiconque, dans le monde entier, « le regardera » et croira en lui sera sauvé.

L’Heure capitale est celle de sa Glorification car Jésus va être porté, proclamé jusqu’aux extrémités de la terre et jusqu’à la fin des siècles – mais cette Glorification ne sera possible que par la crucifixion.

De même qu’un grain de blé enfoui dans la terre s’écartèle et se redresse pour devenir moisson et vie des hommes, ainsi lui, Fils de Dieu, crucifié et enseveli, sera relevé par son Père et ensuite ses apôtres se disperseront dans le monde entier afin de proclamer sa Gloire. L’humanité pourra s’accomplir en devenant moisson de Dieu.

L’Eucharistie qu’il va inventer à cette Heure sera le signe de sa victoire, de sa Gloire. Par elle Grecs et Juifs, Européens, Africains, Américains, Asiatiques, hommes et femmes, riches et pauvres, pourront « le voir » c.à.d. reconnaître sa véritable identité. Ils percevront qui il est, ils pourront croire en lui et ensemble, devenus avec lui « Christ total », ils constitueront l’épanouissement de l’humanité qui resurgit de la mort et devient une dans l’amour de Dieu.

TOUT DISCIPLE EST UN GRAIN DE BLÉ

Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle.

Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.

Ce que Jésus accepte alors de vivre – donner sa vie par amour -, il le propose comme loi inéluctable pour tout homme. Si notre corps n’est qu’une carapace pour protéger notre ego centré sur lui-même, cette protection est vaine : nulle réussite sociale, nulle célébrité, nulle science, nulle médecine, nulle fortune ne peut nous sauver de la mort. L’existence préservée est perdue.

Jésus s’avance sur l’ultime tronçon de son existence terrestre et il appelle tout homme à le servir c.à.d. à s’engager sur ses traces, à modeler son existence sur l’Evangile. Incompris de beaucoup, critiqué pour sa naïveté, vilipendé et persécuté mais libéré de toute idolâtrie, cet homme s’épanouira dans la Gloire de Dieu. Ayant renoncé aux honneurs des hommes, il débouchera, comme fils, dans l’Honneur de son Père.

L’ANGOISSE ET L’AGONIE

Mais Jésus n’est pas un héros impavide qui s’avance vers la mort comme si ce n’était qu’un mauvais moment à passer. La perspective de la mort – et quelle mort : le supplice épouvantable de la croix ! – le bouleverse jusqu’au tréfonds de son être. Parce que Fils de Dieu, ses émotions, ses sentiments l’étreignent d’une façon qui dépasse tout ce que nous pouvons ressentir : de même que sa joie était indicible, ainsi sa panique est diabolique (épreuve ultime pour le séparer de son Père)

Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire : “Père, sauve-moi de cette heure” ? - Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! - Père, glorifie ton nom ! »

Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »

En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »

         ---- Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

A l’inverse des autres évangélistes qui l’évoqueront quelques jours plus tard, au jardin des Oliviers, Jean situe l’agonie de Jésus ici, dès son entrée à Jérusalem. Quelle tension dramatique ! La foule en fête agite des palmes, chante Hosanna, les disciples sont tout fiers d’entourer leur maître…et, au milieu de ce triomphe, dans la conscience du retournement prochain de tous ces gens, de la lâcheté de ses disciples, de la trahison de Judas, de la haine des autorités et de cette horrible croix qui se profile, Jésus est livide, trempé de sueur, tordu de douleur. Atrocement seul.

Il ne veut pas demander à son Père de lui épargner cette issue effroyable : « Père, c’est ta Gloire que je cherche. Bientôt par ma Pâque, les hommes ne te verront plus comme une idole, un juge impitoyable, une divinité lointaine et inefficace mais comme un PERE qui les embrasse dans un même amour afin qu’ils soient UN en toi et en Moi. Alors ils pourront « adorer Dieu » (1ère phrase) en esprit et en vérité (Jn 4).

Le tonnerre avait éclaté sur le mont Sinaï quand Dieu s’entretenait avec Moïse et concluait avec Israël une Alliance (Ex 19, 19) mais la Loi n’avait jamais pu empêcher les infidélités du peuple. Cette fois, à nouveau la voix du ciel annonce l’ « HEURE » définitive où le sang de l’agneau va sceller l’Alliance Nouvelle. Le prince de ce monde, la puissance qui travaille à séparer les hommes de Dieu, à les dresser les uns contre les autres et à détruire la terre, va basculer. Le mal pourra bien nous frapper encore mais sans jamais plus pouvoir triompher.

Et le Fils de l’Homme, élevé entre ciel et terre sur la poutre de la croix, sera élevé dans la Gloire de son Père ; la croix pascale sera le grand Signe vers lequel tout homme malade, abîmé, handicapé, criminel pourra lever les yeux et entendre, émerveillé, la grande confidence: « Confiance ! Tu es sauvé ! ».

Quel réconfort d’entendre aujourd’hui ces paroles : qu’elles nous aident à vivre avec sérieux les deux prochaines semaines. Allons vers la croix : elle est notre gloire.