Il est probable que pour beaucoup, l'Ascension est surtout une belle occasion de « faire le pont », de jouir de 4 jours de loisirs. Mais ce « pont » nous laisse dans le temps et l'espace alors que l'ASCENSION nous offre un pont entre le temps et l'éternité, entre la terre et le ciel, entre « la vie-vers-la-mort » et « la mort-vers-la-Vie ». Venu de Dieu, Jésus retourne vers son Père. Certes dès sa résurrection, il était déjà pleinement glorifié et les évangiles ont suggéré son nouvel état, libéré des contraintes matérielles. Mais Luc, seul, a prolongé le temps des apparitions sur un laps de 40 jours et il a fait du récit de l'Ascension le pivot de son ½uvre : la fin de son Evangile et le début de son second livre, les « Actes des Apôtres ».
Mon cher Théophile, dans mon premier livre, j'ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement jusqu'au jour où il fut enlevé au ciel après avoir, dans l'Esprit-Saint, donné ses instructions aux apôtres qu'il avait choisis. C'est à eux qu'il s'était montré vivant après sa passion : il leur en avait donné bien des preuves puisque, pendant 40 jours, il leur était apparu et leur avait parlé du Royaume de Dieu.
Non, les apôtres n'ont pas inventé la légende de la résurrection pour surmonter l'échec de la croix et poursuivre leur entreprise. Tous les évangélistes insistent sur les énormes difficultés qu'ils ont eues pour accéder au mystère : accueillir le crucifié-ressuscité était une perspective absolument inouïe, impensable auparavant, le choc d'une nouvelle existence, une nouvelle vision du Royaume de Dieu.
Le temps pascal est donc le temps pour affronter nos doutes et nous appuyer sur la foi des Apôtres.
ULTIME INSTRUCTION DE JESUS AUX APOTRES
Au cours d'un repas qu'il prenait avec eux, il leur donna l'ordre de ne pas quitter Jérusalem mais d'y attendre ce que le Père avait promis. Il leur disait : « C'est la promesse que vous avez entendue de ma bouche : Jean a baptisé avec de l'eau mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés d'ici quelques jours ». Réunis autour de lui, les apôtres lui demandaient : « Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? ». Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les délais et les dates que le Père a fixés dans sa liberté souveraine. Mais vous allez recevoir une force, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre ».
Déjà, le jour de Pâques, Jésus s'était révélé aux disciples d'Emmaüs en rompant le pain ; puis, apparu à la communauté de Jérusalem, il avait mangé devant eux (24, 43). Luc tient à assurer que la résurrection n'est pas fantasmatique, hallucinatoire : elle ne consiste pas dans le salut de l'âme (conception grecque) mais elle concerne l'être humain total, corps et âme (même si nous achoppons à saisir ce qu'est un « corps glorifié »).
Jérusalem a été le but final de la longue montée de Jésus : elle a refusé celui qui voulait lui apporter la paix et Jésus a pleuré sur elle. A l'inverse de ce que disaient les prophètes qui voyaient l'avenir comme un immense pèlerinage des nations vers elle (Isaïe 2, 1-5), désormais c'est la Gloire de la Croix qui rayonnera à partir d'elle pour atteindre les extrémités du monde.
Les apôtres semblent décidément incurables : s'ils s'étaient mis à suivre Jésus, c'était en rêvant du grand Royaume d'Israël dont ils seraient les dirigeants. En chemin, ils se jalousaient (Luc 9,46) ; les frères Zébédée avaient voulu court-circuiter Pierre (Mc 10,35) et à la dernière cène, ils rivalisaient encore (Luc 22, 24). Devant Jésus vivant, ils s'imaginent que, cette fois, le jour de gloire est arrivé. Jésus les détrompe : le Royaume de Dieu va s'ouvrir au monde, il n'y aura plus de peuple élu mais des disciples serviteurs à l'image de leur Seigneur. Les étapes de l'évangélisation appartenant à Dieu, il leur est vain de faire des pronostics sur l'avenir. Une aventure gigantesque va débuter : étendre le Royaume de Dieu dans le monde entier. Le Royaume, c'est raconter Jésus pascal. Les apôtres connaissaient bien ses enseignements, ils pouvaient raconter ses discours et ses miracles, sa croix et sa résurrection : mais cela était insuffisant. La mission évangélisatrice ne peut s'accomplir que par la force divine de l'Esprit de Dieu. Dieu avait promis jadis de l'envoyer : « Je vous donnerai un c½ur neuf et je mettrai en vous un Esprit neuf...Je mettrai en vous mon propre Esprit » (Ez 36, 26 ; Joël 3, 1...). Le baptême de Jean était préliminaire mais insuffisant : seule la force divine peut transfigurer l'homme et en faire un croyant, un envoyé, un apôtre, plus encore « un témoin ».
Quand cet Esprit sera-t-il donné ? La date n'est pas précisée : mais le délai sera assez court. Il faut attendre avec assurance, sans douter, sans faiblir : Dieu a promis et Jésus a répété cette promesse.
LE RECIT DE L'ASCENSION
Après ces paroles, ils le virent s'élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée. Et comme ils fixaient encore le ciel où Jésus s'en allait, voici que deux hommes en vêtements blancs se tenaient devant eux et disaient : « Galiléens, pourquoi restez-vous là regarder vers le ciel ?...Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous reviendra de la même manière que vous l'avez vu s'en aller vers le ciel ».
Cette scène s'inspire de l' « ascension » d'Elie : pressentant sa fin, le prophète voulait renvoyer son disciple Elisée mais celui-ci s'accrochait, demandant à son maître d'obtenir double part de son esprit prophétique (la part de l'aîné) ce qui le ferait reconnaître comme son héritier direct et authentique. Elie lui dit : « Si tu me vois pendant que je serai enlevé loin de toi, il en sera ainsi » (2 Rois 2, 10). Tout à coup un char de feu emporta Elie au ciel et Elisée « l'ayant vu » reçut son esprit et fut reconnu comme son successeur. On comprend donc pourquoi Luc insiste à ce point sur le fait que les apôtres ont vu Jésus enlevé dans la Gloire de Dieu.
Evidemment nous ne sommes pas à cap Canaveral : le langage mythique de l'élévation dans les airs est nécessaire pour exprimer la nouvelle certitude des apôtres : Jésus est accueilli par son Père, il est bien Seigneur. Parce qu'ils « voient », c.à.d. parce qu'ils sont sûrs qu'il est Vivant en Dieu, ses apôtres peuvent recevoir son Esprit qui les habilite comme ses héritiers. Nous pouvons donc leur faire confiance.
Luc redresse aussi l'erreur des chrétiens qui, convaincus de l'imminence de la fin du monde, cessent de travailler et d'assumer leurs responsabilités. Un disciple de Jésus ne peut rester le nez en l'air dans l'attente d'événements spectaculaires et apocalyptiques : il lui faut retourner vers les hommes, se laisser pousser par le vent de l'Esprit, courir de plus en plus loin pour témoigner de Celui qui, contrairement aux apparences, ne s'est pas éloigné de nous puisque le chemin vers Dieu est en même temps l'approche des hommes. Oui, un jour (inconnu), le Seigneur reviendra « de la même manière » c.à.d. dans la Gloire. Le condamné du calvaire jugera car l'histoire humaine serait insensée si tout était égal. Mais comment avoir peur d'un Juge qui n'a pas voulu jeter la 1ère pierre, qui s'est montré le berger en quête de la brebis perdue, est mort en murmurant : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font ».
Aussi en ce jour nous pouvons un peu mieux comprendre ces mots du credo que nous répétons machinalement alors qu'ils devraient enflammer notre espérance : « ............Il ressuscita le 3ème jour conformément aux Ecritures et il monta au ciel. Il est assis à la droite du Père. Il reviendra dans la Gloire pour juger les vivants et les morts et son règne n'aura pas de fin........ »
La fête de l'Ascension institue « le pont » que nous ne pourrons jamais construire : celui entre nous et le Père des cieux. Dans une société qui nous englue dans le présent et veut nous persuader de jouir de tout instant (Tout, tout de suite, maintenant), l'Eglise n'est crédible que si elle est peuple de l'Espérance, communauté qui comprend vraiment la signification du temps parce qu'elle en connaît l'avenir en Dieu. Voir plus loin que l'immédiat ne nous désengage pas des tâches terrestres : au contraire cela nous presse d'apporter la Bonne Nouvelle. L'homme est fait pour la Gloire de Dieu.
Il nous reste donc à imiter les apôtres : commencer « la neuvaine de prière » dans l'attente de la Promesse. Au 50ème jour, à la Pentecôte, l'Esprit-Saint descendra dans nos c½urs afin que nous puissions accomplir notre mission : témoigner que Jésus est Seigneur et que l'humain est fait pour la Lumière. On ne peut « témoigner » de Jésus uniquement comme d'un maître qui enseigne, un tribun philanthrope, un héros martyrisé en croix, un esprit éthéré. Seul Jésus « au ciel » c.à.d. introduit dans la Gloire de Dieu, confessé comme SEIGNEUR, donne sens à tout ce qui précède et ouvre le chemin du témoignage et de la mission.