6e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

PERE, QUE TOUS SOIENT UN COMME NOUS

Chaque année, en ce 7ème dimanche du temps pascal, entre Ascension et Pentecôte, nous lisons un extrait (un tiers) de la magnifique prière finale de Jésus en S. Jean. Commencée de manière stupéfiante par la scène du lavement des pieds (le maître au rang d'un esclave humilié !), la soirée ultime de Jésus avec les siens s'est poursuivie par un long discours d'adieu et a culminé avec cette ultime prière dite « sacerdotale ». Tout de suite après, Jésus ira à la rencontre de son destin au jardin des Oliviers où il sera arrêté par des soldats guidés par Judas. Jésus est donc très conscient de ce qui va arriver : « Père, l'heure est venue ». L'heure de la Passion sera l'heure de la Glorification parce que Heure de l'Amour extrême. Les hommes  hisseront Jésus sur la croix : cette « montée » sera « exaltation » par son Père.
A l'heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel, il priait ainsi :
«  (.....) Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton Nom que tu m'as donné en partage pour qu'ils soient UN comme nous-mêmes. Quand j'étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton Nom que tu m'as donné. J'ai veillé sur eux, et aucun ne s'est perdu - sauf celui qui s'en va à sa perte...et ainsi l'Ecriture est accomplie. Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi en ce monde pour qu'ils aient en eux ma JOIE, et qu'ils en soient comblés. Je leur ai fait don de ta Parole et le monde les a pris en haine parce qu'ils ne sont pas du monde, de même que moi, je ne suis pas du monde. Je ne demande pas que tu les retires du monde mais que tu les gardes du Mauvais. Ils ne sont pas du monde comme moi, je ne suis pas du monde. Consacre-les par la vérité : ta Parole est vérité. De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les envoie dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même afin qu'ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité (.......) »

RECEVOIR ET DONNER

En lisant la prière intégrale, on est frappé d'abord par la répétition du verbe « donner » (17 fois !). Le Père a donné à Jésus une ½uvre à faire...un pouvoir sur l'humanité...ses Paroles...son Nom ...ces hommes qui sont ses disciples...son Amour...sa Gloire. Et d'autre part Jésus donne les Paroles de son Père...la Vie éternelle aux siens....Jésus est plus qu'un prophète, un sage, un ambassadeur. Il n'a rien à lui, il ne s'attribue aucun mérite, aucune initiative d'entreprise, aucun courage personnel : mission et disciples sont des dons de son Père. Sa vie entière, il l'a toujours reçue. D'autre part il n'a rien retenu pour lui : tout ce qu'il a reçu, il l'a offert sans rien ajouter ni retrancher. Sa mort en croix sera le signe, la preuve qu'il a véritablement « tout donné ». Il est le parfait « médiateur », pur lien entre Dieu et les hommes. C'est pourquoi les siens ne le retrouveront ni au cimetière, ni dans une statue, ni dans un livre mais dans le Pain eucharistique qui disparaît dans le disciple pour qu'à son tour il reçoive sa vie et se donne tout entier à ses frères.

SA PRIERE POUR LES DISCIPLES

Ces quelques hommes qui l'entourent ne sont pas des héros intrépides, des modèles de science mais il se « donne » à ceux-là même qui vont « l'aban-donner ». Il a toujours et sans arrêt veillé sur eux : il marchait devant eux, il leur montrait le chemin, il prenait sur lui les coups des critiques, il va accepter pour eux sarcasmes et injures, gifles et crachats, coups de fouet et clous. Les évangiles ne rapportent d'eux aucune humiliation, aucune souffrance. A présent qu'il sait qu'il va partir, Jésus prie son Père de les garder. Car désormais le combat va se déclencher, la lutte sera dure, implacable, terrible. Le maître disparu, c'est contre eux que la haine va se déchaîner, due à ce mystérieux adversaire : « le Malin ».
En effet la foi en Jésus va les distinguer du reste de l'humanité : ils vont adopter un style de vie radicalement différent de celui que cherche la majorité, ils vont proclamer des affirmations inacceptables, ils vont contredire frontalement ce qui semble tout naturel au commun des mortels. Aussi Jésus supplie son Père non de leur épargner les persécutions, non de leur offrir un refuge loin des méchants mais de leur donner la force de persévérer, le courage de ne pas se taire, le refus de la fuite.

L'UNITE

La supplication de Jésus a un but : « Qu'ils soient UN...comme NOUS ». Au cours de sa mission, Jésus a vu combien ces hommes étaient différents les uns des autres, ils se chamaillaient pour des questions de préséance, ils avaient soif d'honneurs terrestres. Maintenant qu'ils ne verront plus Jésus et qu'ils seront la cible des menaces les plus sournoises, en butte aux attaques les plus cruelles, que vont-ils devenir ? Leur plus terrible tentation sera de se séparer les uns des autres : l'un prétendra avoir la vérité, l'autre se dressera dans une certitude adverse.
L'histoire des Églises - à mourir de honte - montre combien le pressentiment angoissé de Jésus devant cette possible désunion était justifié. Déjà toutes les lettres des apôtres du Nouveau Testament sont des supplications pour réparer les déchirures, se retrouver dans l'unanimité, s'aimer les uns les autres. Et d'immenses déchirements se sont produits, qui paraissent incurables. Comme si nous, disciples de Jésus, nous osions lui lancer : « Tu es mort pour rien ! ». Quel scandale !
« UN COMME NOUS » : le Père n'est pas le Fils, le Fils n'est pas le Père. L'unité n'est donc pas confusion, magma, uniformité de croyants-clones, de liturgies identiques, de théologies copiées mais amour dans les différences, accueil dans les diversités, débat sans anathèmes, communion dans le respect mutuel. Le Père aime voir ses fils et ses filles tellement divers, chacun(e) apportant un reflet singulier de sa Gloire.
Par grâce, dans le déferlement de ses horreurs, le XXème siècle - ô merveille ! -  a vu naître l'½cuménisme, la décision de lutter de toutes ses forces pour, enfin, rétablir l'unité visible de tous. Et le concile Vatican II a été voulu par le pape Jean XXIII dans ce but. C'est la seule condition donnée par Jésus « pour que le monde croie » (17, 21). Immense intention qui doit tendre notre prière quotidienne. Espérance folle que contredisent les apparences. Si le Christ est mort « pour réunir les enfants de Dieu dispersés » (11, 52), si Jésus continue de nous affirmer : « Je suis mort et ressuscité POUR CELA », nous n'avons pas le droit d'accepter la situation présente de désunion.

LA SANCTIFICATION

Comment remettre en question nos affirmations bétonnées, distinguer tradition authentique et certitude personnelle, oser demander pardon pour les duretés de c½ur, les condamnations outrancières, les vanités cachées sous les dehors pieux ? Certes les rencontres cordiales d'aujourd'hui valent mieux que les croisades et les bûchers d'hier. Mais l'unité ne peut être obtenue que par une crucifixion : n'est-ce pas cela que Jésus veut dire lorsqu'il dit : « Consacre-les par la vérité : ta Parole est vérité. De même que tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi, je les envoie dans le monde. Et pour eux, je me consacre moi-même afin qu'ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité ».
C'est la Lumière de la Parole de Dieu, Parole énoncée par Jésus dans l'Evangile, Parole que Jésus est, lui, le LOGOS qui a osé dire : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie », c'est elle, c'est Lui, qui peut écarter nos ténèbres et sceller nos réconciliations. Jésus a su que pour réunir les hommes il ne fallait rien moins que la croix : « Je me consacre » ». Alors, à partir d'elle,  mais sans jamais la quitter, en la portant tous les jours, nous pouvons nous enfoncer dans le monde. Celui-ci nous rejette, sa puissance de refus nous semble gigantesque - et pourtant, en son sein, ignorée de lui mais bien vivante, gît une attente secrète, une demande de Vérité et de Vie. Sanctifiés mais en plein monde. Gardés par le Père et persécutés. Notre condition paradoxale tendrait à nous déstabiliser mais notre foi nous fait expérimenter la justesse de ces mots :     « Je parle ainsi  pour qu'ils aient en eux ma JOIE, et qu'ils en soient comblés ».