LA PAROLE QUI PURIFIE ET RÉINTÈGRE
Jésus a donc décidé de ne pas fonder un centre spirituel et médical dans la maison de Pierre et il a entraîné ses premiers disciples dans une vie itinérante à travers villes et villages de Galilée.
De cette tournée inaugurale, Marc ne retient qu'un épisode car il est emblématique du dessein de Jésus: créer une communauté où la pire souillure peut être guérie et tout exclu purifié et réintégré.
LES LEPREUX DANS LA BIBLE.
La bible englobe sous le même nom de « plaie » la lèpre proprement dite ainsi que les affections cutanées graves. Ces maladies font peur car elles s'avèrent difficilement curables, progressent insidieusement et sont souvent contagieuses. L'individu qui en est atteint doit aller se montrer au prêtre qui, après constat, le déclarera « impur » et le chassera de la communauté ;
« Le lépreux ainsi malade doit avoir ses vêtements déchirés, ses cheveux défaits, sa bouche recouverte et il doit crier : « Impur ! Impur ! »....Il habite à part et établit sa demeure hors du camp » (Lév 13, 45).
On devine la détresse immense de ces pauvres malades, couverts de plaies douloureuses qui les défigurent, exclus de la communauté par crainte de la contamination, et obligés d'exhiber leur laideur afin d'éviter tout contact. Il peut arriver évidemment que certains soins obtiennent la guérison : en ce cas, l'homme doit à nouveau se rendre près d'un prêtre qui, à la suite d'un examen soigneux, effectuera tout un rituel pour « purifier » l'ancien lépreux : offrande de deux oiseaux, bain, etc....et, le 8ème jour, un sacrifice de réparation... (cf. Lév 14). Il sera alors déclaré « pur » et réintégré dans la société.
JESUS PURIFIE UN LEPREUX (texte du jour en traduction plus littérale)
Et un lépreux vient vers lui, le suppliant et tombant à genoux, et il lui dit : « Si tu veux, tu peux me purifier ». Pris de pitié, Jésus étend sa main et le touche et lui dit : « Je le veux, sois purifié ». Et aussitôt la lèpre partit de lui, et il fut purifié. En l'avertissant sévèrement, Jésus le chassa aussitôt et lui dit : « Prends garde, ne dis rien à personne. Mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification ce que Moïse a prescrit ; ce sera en témoignage pour eux ».
Soudain une silhouette se profile sur la route. De son isolement où il était séquestré, un grand malade vient à la rencontre de ce guérisseur dont il a entendu parler. Il aurait pu, comme d'autres, se résigner à l'inéluctable, demeurer dans son état en soupirant : « De toutes façons il n'y a rien à faire ». Non ! il ose tenter la démarche. Au lieu de se laisser « couler » dans son horreur, il croit que Jésus peut « le repêcher ». Se tenant à quelque distance, « il vient vers ...tombe à genoux...il le supplie ... ». Oser montrer sa laideur, refuser la fatalité du destin, parier que pour Jésus, je ne suis pas un incurable : ce comportement est plus dur que l'on ne pense. A la fin de l'évangile, Judas n'aura pas ce courage et s'abîmera dans le désespoir. Faute plus grave que la trahison elle-même.
Les disciples (absents du texte) ont dû avoir un mouvement de recul épouvanté devant l'horrible apparition tant ils avaient peur du moindre contact. Au contraire, Jésus, pris de pitié, s'approche : « il tend la main, il touche » : un mot suffit. « Le Saint de Dieu » n'est pas profané par le contact de l'impureté : au contraire c'est lui qui communique sa sainteté à l'impur.
La crainte rend vulnérable et elle empêche d'agir : la sainteté absolue de Jésus pousse à l'acte et purifie.
Là-dessus Jésus fait deux recommandations à l'homme guéri :
1. LA CONSIGNE DU SECRET
« NE DIS RIEN A PERSONNE ». Or il y avait un certain nombre de malades de la sorte : ne fallait-il pas aller vite les avertir afin que tous viennent à Jésus pour se faire guérir ? Nous avions déjà vu cette consigne du secret, et nous la rencontrerons encore plus loin. Elle semble dire que Jésus ne veut pas être réduit à la fonction thérapeutique. Annoncer la venue du Règne de Dieu, ce n'est pas vider les hôpitaux et supprimer la pauvreté. Dieu n'est pas un magicien qui transforme tout à coup le monde : d'ailleurs celui-ci marcherait-il bien si nous étions tous en bonne santé ? Des hommes très sains (de corps) ont causé des malheurs épouvantables !
Dieu nous a faits libres et responsables : c'est à nous de nous révolter contre la lèpre et tout ce qui écrase, abîme, déchire l'humanité. Si nous imitions Jésus : écouter les cris des exclus, ne pas fuir les horreurs, reprendre contact avec les éliminés, tendre la main ? On l'a dit : si nous consacrions à la lutte contre la lèpre, le cancer, le sida, les sommes gigantesques investies dans la course aux armements, il y a longtemps que ces maux seraient extirpés.
2. L'OBEISSANCE A LA LOI
« VA TE MONTRER AU PRETRE » - Jésus observe les lois : le lépreux guéri devait aller au temple pour offrir les sacrifices prescrits et obtenir un certificat lui permettant de réintégrer la communauté. Ainsi la guérison n'est pas seulement restitution de l'intégrité physique, fin du mal personnel mais aussi reconstruction de la société amputée par l'exclusion d'un de ses membres. Quiconque est purifié par Jésus sort de son excommunication, retrouve sa communauté, la communion.
Mais est-il sûr qu'un grand pécheur notoire, revenu de ses déviances, serait accueilli fraternellement par nos communautés chrétiennes ? Chacun trimbale souvent les étiquettes qu'on lui a collées dans le passé !
Jésus ajoute une remarque curieuse : « Ce sera un témoignage pour eux » : c.à.d. pour les prêtres du temple à Jérusalem. Donc notre malade guéri va être « le témoin », l'envoyé qui, pour la première fois, alerte les autorités de la capitale sur l'apparition d'un inconnu qui fait des gestes extraordinaires en cette Galilée lointaine : ne serait-il pas le Messie puisque guérir la lèpre était un acte tellement prodigieux qu'il devait être la prérogative du Sauveur attendu ? (Matth 11, 5).
Bientôt une délégation de scribes viendra enquêter sur l'activité et la prédication de Jésus et tout de suite ils porteront sur lui un jugement négatif : « Les scribes descendus de Jérusalem disaient de Jésus : « Il a Belzébuth en lui ; c'est par le chef des démons qu'il chasse les démons » (3, 22).
Annoncer la Bonne Nouvelle d'une purification qui court-circuite les sacrifices du temple ne suscite pas l'enthousiasme général mais la surprise, la rage, la diabolisation.
REINTEGRER L'IMPUR ET EXCLURE LE PUR !
L'homme partit et commença à proclamer beaucoup de choses et à répandre la nouvelle de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer en ville de façon manifeste.
Mais il était dehors dans des endroit déserts et on venait vers lui de partout ».
Evidemment l'homme ne peut cacher sa joie et il devient « proclamateur ». Non de la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu mais de la rencontre d'un guérisseur remarquable. Les foules se pressent, comme naguère à Capharnaüm (1, 32). Aussi Jésus refuse d'entrer dans le jeu de cette notoriété ambiguë et il demeure à Curieux destin de Celui qui vient de réintégrer un lépreux dans sa communauté et qui du coup devient lui-même un exclu ! C'est l'amorce d'un mouvement qui s'accentuera tout au long du récit : Jésus va tenter de rassembler tout le monde et, au lieu d'entrer dans ce projet, certains le rejetteront et le tueront !
Le messianisme de Jésus est un messianisme dangereux. Il est guérison des pires plaies, purification des plus grands péchés, fin des rejets, accueil de l'ancien exclu. Cela ne plaît pas toujours !
L'Eglise doit toujours être prête à faire miséricorde à celui qui dit humblement : « Si tu veux, tu peux me purifier ». Elle n'est pas assemblée de purs mais communauté de pécheurs purifiés. Qu'elle cesse donc de se montrer parfaite, admirable, sans défauts. Sa gloire n'est pas dans les monuments mais dans le pardon.
6e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2011-2012