A partir de son baptême, Jésus a commencé à circuler en lançant la Bonne Nouvelle : "le Royaume de Dieu s'approche" (le kérygme) et en en donnant des signes : des guérisons. Parmi les nombreux disciples qui se sont mis à le suivre, il en a choisi 12 qu'il a appelés "Apôtres" (envoyés) pour reconstituer l'Israël aux 12 tribus. Il reste à donner un contenu à ce Royaume : voici donc le grand discours où il enseigne quels sont les membres de ce Royaume et quelles doivent être leurs m½urs. Nous l'écoutons au cours de ces trois dimanches.
Il est intéressant de comparer le texte de Luc avec la version de S. Matthieu ( Le célèbre" Sermon sur la montagne", chap.5-7).
OUVERTURE DU GRAND SERMON DANS LA PLAINE
Jésus descend de la montagne avec les 12 Apôtres et s'arrête dans la plaine. Il y a là un grand nombre de ses disciples et une foule de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem et du littoral de Tyr et de Sidon....
Jadis Moïse était descendu de la montagne du Sinaï avec les Tables de pierre portant les 10 commandements de Dieu ('Tu feras ceci...Tu ne feras pas cela..."). Ici Jésus descend avec des hommes et il va lancer une proclamation pour remplir nos c½urs de pierre du Bonheur de Dieu. L'enseignement s'adresse à toutes les catégories (les plus proches, les sympathisants, les gens du pays et déjà les étrangers). Donné en un lieu non précisé, il a une portée universelle. Il vaut pour toute l'humanité, toujours et partout.
Il commence par 4 béatitudes suivies de 4 avertissements contraires : voici les 3 premières présentées avec leurs parallèles.
Heureux vous les pauvres : le Royaume de Dieu est à vous Heureux vous qui avez faim maintenant : vous serez rassasiés. Heureux vous qui pleurez maintenant : vous rirez.Mais malheureux vous les riches : vous avez votre consolation. Malheureux vous qui êtes repus maintenant : vous aurez faim. Malheureux vous qui riez maintenant : vous serez dans le deuil et vous pleurerez.
Le tableau est sans nuances et pour cela il n'est pas facile à interpréter justement. Peut-on séparer l'humanité en 2 colonnes ?...
Le Royaume de Dieu est donc ouvert dès à présent pour "les pauvres". Matthieu ajoutera "pauvres en esprit" pour ne pas faire dépendre la grâce de l'état de fortune mais chez Luc, le mot est employé 10 fois et désigne toujours les pauvres au plan matériel. Il n'est pas question de tolérer un état de fait en consolant les pauvres par de vagues promesses tout en leur demandant de se résigner à leur sort. Le mot "résigner" ne se trouve nulle part dans les Evangiles.
Il y a une forte insistance sur le renversement de situation qui aura lieu dans un avenir non précisé mais certain. Les uns qui actuellement jouissent de la vie et des plaisirs doivent s'attendre à connaître les malheurs qui aujourd'hui frappent les autres. Cette idée avait déjà été énoncée par Marie dans son Magnificat : " ...Dieu renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles ; il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides"(1, 52 ). Plus tard une parabole racontera aussi le même renversement entre le pauvre Lazare et le riche resté sourd à ses appels.( 16, 19)
Jésus ne profère pas de malédiction : ses paroles sont plutôt un avertissement, un appel à prendre conscience - MAINTENANT - de l'enjeu, à décider une conversion pendant qu'il en est temps. Car il n'y a pas de fatalité, tout n'est pas joué. La netteté des formules est là pour clarifier le regard et entraîner à l'option urgente.
Au regard de ce texte, faut-il s'étonner qu'une société qui idolâtre la jouissance immédiate écarte de la foi évangélique et vide les églises ?
4ème OPPOSITIONHeureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous repoussent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l'homme. Ce jour-là, soyez heureux et sautez de joie car votre récompense est grande dans le ciel ; c'est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes.
Malheureux êtes-vous quand tous les hommes disent du bien de vous : c'est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes.
Celui qui se décide à être un vrai disciple de Jésus ne doit pas s'attendre à des acclamations unanimes. Choisissant de vivre selon l'Evangile, il va naturellement adopter un comportement qui tranchera sur celui des autres, même à l'intérieur de sa famille. Non seulement il essuiera moqueries et sarcasmes mais parfois il subira calomnies, vexations, haine car sa conduite apparaîtra comme une critique de l'égoïsme et de l'indifférence.
L'Eglise ne doit donc pas chercher l'approbation de tous et les félicitations. Au contraire, sa fidélité à l'enseignement de son Seigneur la démarquera vis-à-vis de m½urs et d'opinions trouvées normales dans la société. On en voudra à cette organisation qui n'entre pas dans "le politiquement ou l'économiquement correct". On tancera ces croyants qui ne vivent pas comme les autres. La persécution ne viendra pas d'abord à propos d'idées ou de pratiques religieuses mais à propos du style de vie.
Et Jésus nous invite à relire la Bible où l'on voit en effet que toujours les foules aimaient les prophètes qui les berçaient d'illusions, qui approuvaient une société injuste tout en promettant paix et bonheur. Au contraire on détestait les vrais prophètes qui osaient dénoncer les manquements à la justice, menaçaient de châtiment proche, exhortaient à opérer au plus tôt une conversion radicale.
Ainsi donc les disciples, moqués et maltraités, deviendront "les pauvres, les affamés, les pleureurs" : les 3 premières béatitudes ne seront pas le fruit de leurs efforts mais le résultat de leur fidélité. Dans le détachement à l'endroit des biens, à travers leurs manques et leurs souffrances, ils feront l'expérience du véritable bonheur de Dieu.
" Je voudrais m'adresser à tous afin que, convaincus de la gravité de l'heure présente et conscients de leurs responsabilités, ils mettent en ½uvre - par leur mode de vie personnelle et familiale, par leur usage des biens..... - les mesures inspirées par la solidarité et l'amour préférentiel des pauvres qu'exigent les circonstances et que requiert surtout la dignité de la personne humaine..." ( JEAN-PAUL II : Encyclique sur la Question sociale, § 47 - 1987)