« Je ne te demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais » (Jean 17, 15)
Il y a des phrases qui sont fortes et riches de conviction. Quand la communauté de saint Jean entend cette parole : « je ne te demande pas que tu les retires du monde », les chrétiens ont encore dans leurs oreilles les cris des martyrs, les hurlements des suppliciés. Devant leurs yeux, ils ont encore les images du sang versé, et dans leurs narines, l'odeur de la chair humaine brûlée. Quand ils entendent que le Christ leur recommande de rester dans le monde, ils savent que c'est dans un monde de violence et de haine. La terrible persécution lancée par Néron ne fut pas seulement horrible par les supplices imposés. Elle a aussi révélé combien les gens, les païens détestaient les chrétiens. Tout le monde a approuvé cette persécution. Tout le monde a pu à ce moment-là exhaler toute sa haine pour cette minorité suspecte et jugée abominable.
Nous ne sommes pas dans une telle situation, mais beaucoup jugent la situation préoccupante, beaucoup critiquent l'incompétence des dirigeants, beaucoup regrettent l'évolution de la société. Alors, comment doit-on comprendre cette recommandation du Christ de ne pas se retirer du monde ? Est-ce pour le sauver ? Est-ce pour le réformer ? Non, c'est tout simplement logique. Dieu a créé le monde et il a vu que cela était bon. Le monde est fondamentalement bon parce qu'il a été créé par Dieu. Et Dieu ne peut rejeter le monde puisque c'est lui qui l'a créé et qu'il a voulu que ce soit bon. La relation entre le monde et Dieu est un peu comme celle qui existe entre une mère et son enfant. Une mère ne peut rejeter son enfant parce que l'enfant vient du ventre de sa mère et qu'il a comme une partie de la mère dans l'enfant. Il y a quelque chose de divin dans chaque personne que l'on rencontre. Il y a une étincelle de Dieu dans le c½ur de chaque homme et c'est à nous de le découvrir, à nous de permettre à cette étincelle de se développer, de briller davantage, d'éclairer les yeux de chacun.
Mais, me direz-vous, il y a tellement de méchanceté dans le monde, tellement d'horreur dans le c½ur de mon voisin. Et c'est vrai. Il y a tant de mal dans le monde, mais Dieu a voulu sauver le monde, et pas le condamner ou le détruire. C'est encore une fois logique. Dieu a créé le monde avec tellement d'amour qu'il ne peut pas vouloir sa destruction. Il est comme une mère qui voit son enfant s'enfoncer dans l'alcool ou la drogue. Elle souffre de voir son enfant se détruire. Elle sait que son enfant est beaucoup plus qu'un drogué ou un alcoolique. Elle sait qu'il est beaucoup plus beau, beaucoup plus riche au point de vue humain. Elle ne peut pas vouloir sa destruction. Elle ne peut que vouloir son salut. Voilà pourquoi le Christ est venu sur terre partager notre existence. C'est pour nous arracher à notre propre ½uvre de destruction.
C'est pour cela que le Christ demande à son Père de nous protéger du Mauvais. Et quel est ce Mauvais ? Quel est ce démon qui peut nous détruire ? C'est l'orgueil et l'amour-propre. C'est le péché originel, c'est le péché d'Adam. Adam, en voyant toute la beauté de Dieu, a pourtant préféré faire sa vie tout seul, sans Dieu. Il a piqué sa crise d'adolescence. Et c'est utile. Il faut, à un certain moment, que l'enfant quitte l'entière dépendance de ses parents et découvre le monde. Mais il faut aussi qu'il devienne adulte, c'est-à-dire qu'il découvre ses forces comme sa faiblesse structurelle. L'homme n'est pas fait pour vivre seul. L'homme ne peut pas vivre sans Dieu. C'est la faute du roi David qui, séduit par la beauté de Bethsabée, commet l'adultère et fait mourir Urie, son mari. Le roi David s'était placé au-dessus des lois et au-dessus de Dieu pour assouvir ses envies. Mais David reconnut sa faute et c'est pour cela qu'il est reconnu comme un grand roi. Le Mauvais rôde dans le c½ur de chacun d'entre nous, car nous tous, nous voulons être maîtres de notre vie et de notre destin, nous voulons même être maîtres de notre entourage et nous ne sommes même pas capables d'être maîtres de notre corps. Nous ne sommes pas maîtres de notre vie, nous ne sommes pas maîtres de notre mort.
Alors, au cours de cette eucharistie, redécouvrons avec émerveillement les merveilles que Dieu a faites dans sa création. Dieu a voulu que tout cela soit bon, et c'est bon. C'est à nous de redécouvrir toutes les étincelles d'amour que Dieu a semées dans le c½ur de chacun. Laissons à Dieu une chance. Laissons-lui la chance de nous étonner. Laissons-lui la chance de vivre pleinement au milieu de nous, avec nous.
Philippe Henne