7e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Quand j'étais enfant, j'étais toujours avide d'expériences scientifiques très sérieuses. Du moins, je le croyais. J'aimais mélanger les couleurs entre elles et en découvrir de nouvelles. Certaines étaient innommables, tellement elles étaient horribles mais il y avait ce bleu et ce jaune qui ensemble donnaient un si beau vert. Je m'étonnais de cela et je me demandais parfois s'il pouvait en être de même avec les êtres humains. Serai-je un jour capable d'aimer quelqu'un à ce point que je me fonderais en lui ? Une telle unité est-elle possible ou bien est-ce une utopie ?

Le poète Rainer Maria Rilke affirme que le partage total entre deux êtres est impossible. Il ne sert cependant à rien de s'enfermer dans une morosité car lorsque nous avons pris conscience de la distance infime qu'il y aura toujours entre deux êtres humains, quels qu'ils soient, une merveilleuse vie "côte à côte" devient possible, écrit-il. Une vie " côte à côte " et non pas une fusion. Il faudra, poursuit cet auteur, que les deux partenaires deviennent capables d'aimer cette distance qui les sépare et grâce à laquelle chacun des deux aperçoit l'autre entier, découpé dans le ciel. L'amour entre deux êtres peut être tel qu'ils peuvent presque devenir l'un l'autre. Mais il y aura toujours ce " presque ", cette distance aussi fine puisse-t-elle être qui les séparera. Il n'y aura donc jamais d'unité totale entre deux êtres humains. Nous atteignons ici une des limites de notre humanité. Je peux aimer, aimer tellement à ressentir tout ce que l'autre vit. Sa respiration peut même devenir mienne mais il y aura toujours ce quelque chose, cette infime rien qui m'empêchera de l'être complètement. Notre vocation humain n'est pas fusionnelle mais plutôt " côte à côte ".

Certains pourront me dire que mes propos vont à l'encontre des écrits révélés où il est dit que l'homme quittera son père et sa mère, s'attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un. Et ils ont raison tant que nous lisons cette phrase en français car le texte original dit quelque chose de différent. La traduction trahit le sens. En effet, dans le texte hébreu et grec, il est plutôt dit : " tous deux n'iront vers qu'un ". Il ne s'agit pas d'une fusion mais bien d'une nouvelle création, celle de la vie, d'une nouvelle individualité.

Nous sommes donc confrontés à la réalité des limites de l'intimité humaine, il est vrai. Mais par l'incarnation du Fils de Dieu, nous sommes appelés à répondre à l'appel de la vie et à accepter notre condition nouvelle et résurrectionnelle, celle de devenir pleinement enfants de Dieu. Filles et fils d'un même Père dans la foi. Tel est le sens de la prière du Christ entendue ce jour dans l'évangile : " que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu'ils soient un en nous ".

Ici, au c½ur de ce monde, nous sommes conviés à vivre d'une intimité exceptionnelle, une intimité illimitée. Enfants de Dieu par adoption, nous le sommes. Comme nous l'avons découvert, Dieu a choisi de venir inhabiter en chacune et chacun de nous. A l'occasion de l'Ascension, il est parti rejoindre le Père qui est en nous. Le Fils a pris résidence au c½ur de notre humanité. Nous sommes tabernacles vivants de sa présence. Dieu vit au plus intime de tout être humain, là où aucune autre personne ne peut nous rejoindre à ce point. Si je le souhaite, Dieu fait un avec moi. Il s'est établi au sein de ma conscience. C'est dans ce lieu précis que l'Esprit Saint est à l'½uvre et inspire mes actes et mes mots.

Dieu est au plus intime de notre intimité. Il inonde mon être de sa réalité divine et me rend par là plus humain, plus divin. Il est plus grand que mon c½ur et connaît toute chose. Avec Lui, je vis en permanence. Il est là, attendant que je parte à sa rencontre en moi. Je n'ai rien à lui cacher. Je n'ai plus à me mentir. Il est là, bien là en moi et il m'accompagne. Non pas comme une petite voix intérieure jugeant mes actions mais comme un ami qui avance avec moi sur le chemin de la vie. Il est vraiment au plus intime de mon intimité, là où personne ne peut venir tellement je suis au plus profond de mon être. Ce qui est impossible humainement, l'est par contre divinement. Oui, l'unité, l'intimité totale est possible entre deux êtres lorsque l'un est humain, l'autre divin. Que nous puissions alors vivre de cette unité divine en nous. Elle est le lieu par excellence d'une unité par délà toute compréhension.

Amen.