Quatre dames prennent le café ensemble et parlent de choses et d'autres, mais leur sujet favori reste de pouvoir chanter les louanges de leurs chers fils. La première dit à ses amies : « Mon fils est prêtre diocésain. Quand il entre dans une pièce, tout le monde l'appelle 'Monsieur l'Abbé' » La deuxième surenchérit : « Mon fils est évêque. Quand il entre dans une pièce, tout le monde l'appelle 'Monseigneur' » La troisième rétorque : « Mon fils est cardinal. Lorsqu'il entre dans une pièce, les gens l'appellent 'Votre éminence' ». La quatrième quant à elle sirote tranquillement son café en silence. Les trois autres l'incitent à parler. Posant sa tasse, elle prend la parole : « Mon fils est un simple religieux dominicain. Sa prestance, son aisance, sa lueur d'intelligence dans le regard sont toujours mises en valeur par l'habit qu'il porte. Lorsqu'il entre dans une pièce et pose ses yeux sur l'assemblée, les femmes se contentent de murmurer : 'Oh mon Dieu...' » Quatre femmes, quatre fils aux destinées variées ; tout comme ces quatre brancardiers ingénieux et audacieux tels que nous venons de les redécouvrir dans l'évangile entendu. Ils étaient quatre et ils n'étaient pas trop de leur nombre pour la tâche à laquelle ils s'étaient attelés. Il est vrai que, dans la vie, nous aussi, nous avons parfois besoin de plusieurs personnes qui soient présentes à nos côtés pour nous porter et nous conduire là où nous devons aller même si la destination n'est pas le fruit de notre simple volonté mais plutôt la conséquence de la réalité que nous traversons. La vie nous fait découvrir qu'il suffit parfois d'une seule personne à qui pouvoir se confier en toute liberté. Elle portera avec nous ce qui nous semble tellement lourd à faire face et, si nécessaire, elle s'autorisera à chercher d'autres qui nous accompagneront. C'est ensemble qu'ils viendront à nos côtés pour nous soutenir. Ces derniers n'ont pas besoin de tout connaître, de tout comprendre, leur seule présence bienveillante suffit car elle va nous permettre d'assister à un événement intérieur d'une force inouïe. A l'instar de l'ouverture du toit dans le récit de l'évangile, pour chacune et chacun de nous, lorsque cela s'avère nécessaire, le Ciel se déchire pour partir à la rencontre de mes propres déchirures. En d'autres termes, l'Esprit Saint souffle sur celles et ceux qui nous portent pour permettre une nouvelle ouverture et laisser passer cette brise légère divine qui part à la rencontre de mes blessures les plus profondes. Des événements tragiques comme la perte d'un être cher, l'éveil de la maladie, l'entrée brutale dans une nouvelle phase de l'âge peuvent nous blesser à un point tel qu'ils peuvent être vécus comme une véritable déchirure. Une partie de nous-mêmes est arrachée et nous avons le sentiment de perdre un peu de notre unité. Au fil des ans, nous sommes traversés de lézardes, de déchirures, de ruptures. Ne les nions pas mais cherchons autour de nous celles et ceux qui seront les brancardiers de notre c½ur et qui viendront nous porter dans la tendresse d'un regard échangé, dans la douceur d'une parole prononcée, dans la caresse d'un geste effleuré. Dieu est à nos côtés et ce matin encore il vient déchirer notre ciel intérieur pour partir à la rencontre de nos déchirures les plus profondes. Il nous invite à ne pas nous fuir mais à rentrer chez nous, c'est-à-dire à retourner en nous pour trouver, retrouver cette force divine qui prend sa source dans la noblesse de nos sentiments qui se laissent voler vu la fragilité des événements que nous subissons. Nous pourrions nous sentir tellement désemparés, esseulés. Et pourtant, le Christ vient à nous et pose son regard sur certaines blessures béantes de nos incompréhensions, de notre mal de vivre ce qui s'impose à nous. Il nous veut en marche dans notre c½ur car il ne souhaite pas que nous nous fuyions mais plutôt que nous acceptions de retourner à la Vie, à notre vie. Oui, il y a en nous des blessures et des déchirures. Dieu le Fils vient nous les panser et nous convie à nous lever, à nous relever mais sans jamais nier ces cicatrices qui marquent notre histoire. C'est sans doute pour cela qu'il demande au paralysé de reprendre son brancard. Ne rejetons pas les événements qui nous ont fait si mal mais osons les poser dans le c½ur de Dieu. Ils seront plus légers. Repartons d'eux et retournons en nous pour que déchirure et blessure ne riment plus jamais avec un passé « fermeture » mais deviennent des lieux de révélation qui nous font passer vers un avenir « ouverture », une ouverture toute offerte à la merveille de la vie, à l'inconnu de Dieu. Par notre foi, nous serons alors sauvés.
Amen