En Israël occupé depuis 90 ans, on attendait une intervention de Dieu pour retrouver l'indépendance nationale. Jésus survient et proclame avec assurance qu'il inaugure sur le champ, et de manière définitive, un royaume où Dieu prend parti pour "les pauvres, les affamés, ceux qui pleurent, les persécutés" (cf. dimanche passé). Mais appartenir à une catégorie de personnes serait-il suffisant pour faire partie des aimés de Dieu ? Non. Après avoir parlé à l'indicatif ("vous qui êtes pauvres..."), Jésus va poursuivre avec des impératifs. En effet on n'entre pas dans le Royaume par un état de fait mais en adoptant un certain comportement, en pratiquant une certaine obéissance. Et laquelle !
"Je vous le dis à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis".
Ordre "in-ouï" (au sens propre) ! Dans l'auditoire, personne ne s'attendait à entendre pareille exigence. N'était-ce pas demander l'impossible ? Et nous, aujourd'hui, allons-nous accueillir cet ordre ?
Un mot d'explication d'abord sur ce fameux verbe AIMER. Pour le traduire avec justesse, les chrétiens ont repris le verbe choisi par les anciens traducteurs de la bible grecque : écartant les vocables habituels ( éros, philo-...), ils ont choisi un mot d'usage peu courant : AGAPÈ. L'amour d'agapè - traduit en français : charité - n'est pas un amour sentimental entre personnes liées par des liens familiaux ou attirées l'une vers l'autre par séduction ou sympathie. Ni non plus le fait de jeter une piécette à un mendiant (dérive obscène du mot !). C'est un amour raisonné, volontaire, qui veut voir l'autre au-delà des affinités personnelles, qui ne se contente pas d'impressions, de déclarations ou de sentimentalité. C'est un amour qui tend au respect de l'autre comme personne et qui se traduit dans des actes.
AIMER L'ENNEMI : C'EST-A-DIRE ?...
Jésus explique ensuite comment il entend cet amour des ennemis :
Faites du bien à ceux qui vous haïssent, Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent, Priez pour ceux qui vous calomnient.
La charité n'est donc pas amitié sentie, plaisir de la relation mais elle est décision, action : faire du bien, dire du bien, prier-pour... Il faut remarquer l'importance de la prière pour l'ennemi - condition qui permettra sans doute d'avoir la force de faire le reste.
Ensuite Jésus continue par de petites phrases concrètes, à la 2ème personne : c'est toujours un TU qui doit se décider, opter pour freiner la colère naturelle et adopter un comportement charitable : A celui qui te frappe sur une joue, présente l'autre, À celui qui te prend ton manteau, laisse prendre aussi ta tunique. Donne à quiconque te demande Ne réclame pas à celui qui te vole.
Tout cela, dit-il, peut se résumer dans ce que l'on appelait déjà dans l'antiquité : "La Règle d'or" :
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux.
Dans nos relations avec les autres, surtout avec ceux qui nous causent le plus de difficultés et qui risquent toujours d'éveiller des sentiments de vengeance, de provoquer des réactions violentes, la charité refroidit nos ardeurs belliqueuses, calme notre spontanéité pour nous faire nous demander :" Qu'est-ce que j'aimerais que l'autre fasse pour moi ?" afin de traiter l'autre comme on aimerait être soi-même traité. Difficile ? Certes. Héroïque ? Oui. Mais alors pourquoi exiger tel comportement ? Jésus l'explique :
Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment ! Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même les pécheurs en font autant. Si vous prêtez quand vous êtes sûrs qu'on vous rendra, quelle reconnaissance pouvez-vous attendre ? Même les pécheurs prêtent aux pécheurs pour qu'on leur rende l'équivalent.
Dans le royaume de Dieu, il s'agit donc de faire plus, beaucoup plus que le commun des mortels. Se limiter à l'observance de la morale courante, s'enfermer dans le cercle des gens sympathiques, aimer celui qui nous aime : tout le monde fait ça, dit Jésus, même les pécheurs. Un disciple de Jésus, à l'exemple de son Maître, se sent tenu de faire des choses pour lesquelles il ne ressent aucun attrait naturel. Le comportement du chrétien sera parfois a-normal, original, ex-centrique (centré sur l'autre )
Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour. Alors votre récompense sera grande et vous serez les fils du Dieu Très-Haut car Il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.
Cet amour actif de l'ennemi ne sera rien d'autre au fond que l'imitation même de l'amour de Dieu. Celui-ci n'accorde-t-il pas soleil et pluie à l'ensemble des hommes ? (ce qui sera précisé dans s. Matthieu). La charité pour l'ennemi témoigne de la charité issue de Dieu, elle fait reconnaître en celui qui la pratique "son fils". Et cet amour culminera dans le pardon.
Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez et vous serez pardonnés. Donnez et vous recevrez une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante qui sera versée dans votre tablier. Car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous.
Lisez l'évangile, étudiez la conduite de Jésus, et vous comprendrez un peu la Bonté, la Tendresse du Père : il sauve la brebis égarée, il accueille le fils prodigue, il s'invite chez Zachée le voleur, il ouvre le ciel au bon larron. Tous ces exemples nous incitent à ne pas porter de condamnations et à partager avec les autres le don magnifique de la Miséricorde que notre Père nous a prodiguée en Jésus son Fils. Ne nous a-t-il pas appris à prier : " Pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés" ??... Et non seulement il faut pardonner mais il faut le faire avec une folle générosité. Pas donner un peu, à contre-c½ur, à portion congrue, à la petite cuillère...mais avec générosité. Car c'est en comblant l'autre que l'on devient assez ouvert pour être comblé par Dieu. Quiconque rétrécit son c½ur, mesure ses dons, est mesquin dans ses relations sera rabougri, tellement entortillé sur lui-même que Dieu ne pourra le combler. Oui cette page est très difficile à vivre. Dans certaines circonstances, ces ordres nous paraîtront totalement inacceptables, impraticables. Mais tout est possible à Dieu. Celui qui est meurtri par l'injure, blessé par les coups, celui que ronge le désir de vengeance, qu'il prie et l'Esprit lui sera donné. Peu à peu, sous le regard du Christ en croix, il sentira son c½ur se calmer. Humilié par ses propres fautes, bouleversé par le pardon de Dieu tant de fois reçu à profusion, il sera porté à faire de l'extra-ordinaire.