Le Christ, Roi de l’univers : ce titre fait penser à un être supérieur, assis au sommet du pouvoir, il n’y a personne au-dessus de lui. Mais voilà ! La liturgie nous dit tout le contraire. Relisons la prière d’ouverture de la messe d’aujourd’hui : « fais que toute la création reconnaisse ta puissance et te glorifie sans fin ». Nous sommes invités à reconnaître la puissance non pas du Christ, mais celle de son Père. Voilà qui est étrange et bouleversant. Nous sommes tout tendus vers Jésus et la liturgie nous dit : « Non, ce n’est pas lui qu’il faut adorer. C’est son père. » Et ce n’est pas seulement la liturgie qui dit cela, mais le Christ lui-même. C’est surtout évident dans l’Evangile selon saint Jean. Le Christ y parle tout le temps de son Père, de celui qui l’a envoyé. Et les apôtres sont décontenancés. Ils demandent à Jésus de leur montrer le Père et Jésus leur répond avec un profond soupir : « il y a si longtemps que je suis avec vous. » C’est comme un jeune papa qui se tourne vers sa femme et lui dit : « où es-tu ? J’existe. Est-ce que tu m’as oublié ? » Et la jeune maman lui répond : « mais je m’occupe du petit. » Nous vivons toujours avec un étranger. Nous voudrions que Dieu, notre Dieu, s’occupe de nous tout le temps, mais Jésus est tourné vers le Père et il veut nous entraîner avec lui dans cette relation amoureuse. Nous sommes comme ce petit garçon qui est jaloux de son papa parce que sa maman s’occupe de son mari. Oui ! Dieu n’est pas tout entier à notre service. Jésus est nourri par un plus grand amour, celui qu’il reçoit de son Père.
Mais, regardez ! Cet amour n’est pas de tout repos. Voyons ce que dit la préface, la prière juste avant la consécration : « Tu as consacré Prêtre éternel et Roi de l’univers ton Fils unique, Jésus Christ, pour qu’il s’offre lui-même sur l’autel de la croix en victime pure et pacifique. » Ce n’est pas très sympathique tout cela. Dieu le Père fait de son Fils le Roi de l’univers pour qu’il s’offre en sacrifice. Merci ! C’est un peu comme si un empereur nommait son fils chef de l’armée pour qu’il se fasse tuer par l’ennemi. Et c’est ce qui s’est passé : en venant sur terre, Jésus n’a pas fait de fugue. C’est son Père qui l’a envoyé. C’est par obéissance qu’il s’est offert en sacrifice sur la croix. Vous vous rappelez les paroles qu’il a dites en tremblant sur le mont des Oliviers : « Père, si c’est possible, éloigne de moi cette coupe. Mais pas ma volonté, mais ta volonté. » Voilà bien toute l’absurdité de cette situation : Jésus le Christ, Roi de l’univers, ne fait pas ce qu’il veut, mais il se sacrifie. C’est bien là tout le contraire de ce qui se passe parfois dans les couples ou dans les communautés. Combien de fois les murs ne tremblent–ils pas quand le mari crie : « qui est le maître, ici ? Je vais leur montrer, moi, qui est le chef. Je ne vais pas me laisser faire. » Et nous nous battons, nous affirmons avec violence notre autorité dans le couple, dans la famille, dans la communauté, quitte à faire souffrir les autres. Et le Christ, Roi de l’univers, pend tout nu sur une croix.
Parce que tout ce pouvoir qu’il a reçu, il ne le garde pas pour lui. Continuons la lecture de la préface : « après avoir soumis à son pouvoir toutes les créatures, il les remettra entre les mains de son Père. » Ce qu’il a réussi à faire, il le remettra entre les mains de son Père. Tout ce que nous réussissons à faire, nous le faisons grâce à ce que Dieu nous a donné. La réussite dans les études, c’est grâce à l’intelligence reçue. La réussite dans le travail, c’est grâce au courage reçu. Les moments de tendresse partagée, c’est grâce à l’amour reçu. Laissons-nous donc emporter par l’amour de ce Roi tout-puissant, qui est venu non pas pour nous écraser de tout son pouvoir, mais qui est venu pour nous sauver, nous racheter, nous ressusciter .