JESUS EN EXTENSION DANS L’HISTOIRE
Mieux que des discours théologiques, les images bibliques et les paraboles de Jésus nous font pénétrer au sein du mystère d’amour dans lequel nous sommes invités à vivre. Mieux encore que celle du Bon Berger, la parabole de la Vigne, méditée en ces deux dimanches, nous révèle comment la Pentecôte réalise Pâques, comment la Vie plantée sur la croix se prolonge en nous.
LA VIGNE DE DIEU DANS ISAÏE
A l’origine, c’est Israël qui se présente comme la « vigne de Dieu » c.à.d. le peuple que Dieu aime particulièrement et avec lequel il a fait Alliance. Cette élection n’est pas un privilège arbitraire mais un choix qui oblige : ce peuple est appelé à pratiquer la Loi de Dieu, à vivre selon le droit et la justice, à se démarquer ainsi des nations voisines. Alors il sera la vigne qui donne le fruit que son Dieu exige.
Hélas il n’en va pas ainsi et le prophète Isaïe transmet la colère de Dieu : « « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël…Il en attendait le droit et c’est l’injustice ; il en attendait la justice et il ne trouve que les cris des malheureux » (Isaïe 5, 7)
Certes on avait construit un temple magnifique à Jérusalem et on y célébrait des liturgies fastueuses en offrant des sacrifices généreux. Mais la piété ne peut remplacer la pitié envers les malheureux, le culte sans justice sociale est hypocrite, sans valeur. « Que me fait la multitude de vos sacrifices ? dit le Seigneur…Cessez d’apporter de vaines offrandes…Je n’en puis plus des forfaits et des fêtes. Vos solennités, je les déteste…Vous avez beau multiplier les prières, je n’écoute pas car vos mains sont pleines de sang… » (Isaïe 1, 11-15)
DANS LES SYNOPTIQUES
Dans les évangiles synoptiques, Jésus reprend l’image de la vigne dans une de ses plus virulentes paraboles où il dénonce la fourberie des responsables et dirigeants qui n’ont jamais accepté de se convertir aux appels des prophètes et qui maintenant se préparent à mettre à mort l’ultime envoyé, le Fils même de Dieu. La conclusion tombe comme une menace terrible : « Que fera le maître de la vigne ? Il viendra, il fera périr les vignerons et confiera la vigne à d’autres » (Matt 21, 33 ; Mc 12, 1 ; Luc 20, 9).
DANS JEAN
Enfin chez saint Jean, l’image de la vigne connaît son aboutissement plénier : la vigne n’est plus une nation, un territoire mais Quelqu’un. Son succès n’est plus menacé mais assuré et plantureux.
A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples :
« Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron.
Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ;
Tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage.
Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite.
Demeurez en moi, comme moi en vous.
De même que le sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même s’il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi.
Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments.
Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est, comme le sarment, jeté dehors, et il se dessèche. Les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent.
Extraordinaire révélation : la pauvre victime sanguinolente qui, au Golgotha sordide, se tordait en hurlant sur le bois de la croix est devenue la vraie Vigne vivante et féconde. L’exécution par les hommes était la plantation de Dieu. Car Jésus, quoi que disent beaucoup, n’est pas un prophète assassiné, un sage incompris, un révolutionnaire en échec mais le Fils qui offre à son Père le fruit excellent qu’il attendait : l’amour infini.
Ressuscité, il n’est pas un sage dont on rappelle les enseignements, un martyr dont on plaint les souffrances, un fondateur d’une organisation dont il faut observer les règlements: il est comme un Cep qui, planté dans le cœur de Dieu, n’en finira jamais de déployer ses sarments.
Car les siens ne sont pas uniquement ses élèves, ses admirateurs, ses fans, des crédules inscrits dans un registre mais ils sont comme ses extensions, ses prolongements animés du même Esprit, comme les sarments d’une seule et même Vigne qui se transmettent la sève de l’Esprit les uns aux autres.
Oui, nous nous portons les uns les autres : par le canal de combien de croyants avons-nous reçu la Parole de Jésus et la sève de l’Esprit ? Et quels efforts faisons-nous pour que la vigne poursuive sa croissance, conquière d’autres cœurs, fasse reculer le mal et instille dans la société davantage de droit et de justice ? Les arbres généalogiques sont ridicules de vanité à côté de la Vigne éternelle où nous venons de Jésus à travers saint Augustin et Jean-Sébastien Bach, Vincent de Paul et Rembrandt, le père Damien et Maximilien Kolbe. Cette vision cosmique du « Christ total » devrait nous guérir d’une conception mesquine de l’Eglise, d’un embourbement dans le taillis des rivalités.
Encore faut-il que le sarment « demeure » sur le cep et qu’il fructifie de la même façon que celui-ci. Cela ne se fera pas sans douleurs mais, dans ses souffrances, le sarment reconnaîtra la main du Père qui l’émonde. La Parole de Jésus « purifie le sarment », l’Evangile taille dans nos prétentions égoïstes, dans nos recherches vaniteuses, dans les soucis du qu’en dira-ton afin que nous soyons focalisés sur un seul but : porter le fruit que Dieu demande.
Si le sarment refuse et ne fructifie pas, s’il en reste à une croyance superficielle, à un culte inefficace, à une piété stérile, alors le Père le coupe et le détache du Fils comme un sarment inutile. Et que faire des sarments stériles sinon les jeter au feu ? Relisons Isaïe ci-dessus.
« Demeurer en Jésus » est l’expression qui parcourt tout le texte car, affirme Jésus « en dehors de moi vous ne pouvez rien faire » et l’histoire récente en est comme la confirmation. En 1917, l’Internationale des prolétaires devait être le genre humain libéré des dictatures, des injustices et de l’aliénation religieuse : elle a organisé l’archipel du goulag où ont péri des dizaines de millions de victimes. En 1935, les foules immenses de la jeunesse allemande, blonde et aryenne, défilaient au pas de l’oie et le bras tendu, hypnotisées par le Guide halluciné et se dirigeaient, aveugles, vers les carnages, les ruines et la barbarie d’Auschwitz. Aujourd’hui notre société, elle aussi, s’est débarrassée de Dieu et promet le bonheur par la hausse du niveau de vie : elle poursuit sa course, sourde aux avertissements de prophètes qui lui annoncent qu’elle se dirige droit dans le mur.
Refuser le Feu de l’amour de l’Evangile, c’est se diriger vers le feu destructeur.
LA PRIERE
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. Ce qui fait la gloire de mon Père, c’est que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez pour moi des disciples ».
Ce lien au Christ, cette volonté de le prolonger avec fidélité dans la communion des sarments est une œuvre difficile qui dépasse les forces humaines. Ce n’est pas pour rien que la parabole se termine par le recours à la prière : « Demandez ». Non certes afin d’obtenir ce dont nous avons envie. La demande du sarment ne peut être que celle qui implore la fidélité, la confiance, un amour plus grand du Christ et de ses membres. Un seul objectif compte : chercher la Gloire du Père.
Mais au fait que signifie précisément « porter du fruit » ? La seconde partie de la parabole nous le dira dimanche prochain.