Quatrième dimanche de Pâques

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 5/04/15
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

ÊTRE GUIDÉ POUR ÊTRE LIBRE

Dans notre société urbaine et technicienne, le mot de « pastorale » utilisé par l’Eglise ne sonne-t-il pas d’une manière désuète ? Les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus rien à faire avec ce monde de brebis, de bergeries, de bêlements, de prés d’herbe tendre : au contraire cette comparaison des croyants avec des moutons est insupportable dans un monde qui exalte la liberté individuelle et la recherche de l’originalité. On ne veut plus d’une Eglise qui enrégimente, de « pasteurs » qui dictent une pensée unique et font marcher un peuple en bêlant des cantiques.

Cependant, quand on regarde notre monde détaché de tout lien religieux, comment ne pas voir combien les foules, avides de liberté, sont grégaires, soumises à la dictature des modes, fascinées par des idoles, formatées par les slogans publicitaires. « Il faut » porter telle fringue, avoir vu ce spectacle, être allé dans tel restaurant. Et chacun de rivaliser pour avoir toujours plus de « chaînes » de tv !

Et d’ailleurs où nous mènent les leaders d’opinions ? Dans la ronde des besoins satisfaits qui laissent les cœurs inassouvis. Dans le carrousel des caddies qui débordent alors que le nombre de pauvres augmente. Dans la course aux «nouveautés » qui ne nous empêchent pas de vieillir. Dans les embouteillages où les voyageurs pressés s’encaquent.

Il est plus difficile qu’on ne croit d’être vraiment libre !

En ce dimanche, il est très libérateur pour les chrétiens de contempler Celui qui se présente comme le seul Guide authentique et de comprendre qu’à sa suite, nous cheminons comme des personnes libres.

LE BON BERGER

Jésus disait aux Juifs : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.

La parabole du Bon Berger suit immédiatement le récit de la guérison de l’aveugle-né qui s’est achevé sur un heurt violent entre Jésus et les Pharisiens qui le détestent. C’est encore à eux qu’il adresse cette parabole qui, loin d’être une mièvrerie, est au contraire très polémique. Vous expliquez la Loi, lance Jésus à ses ennemis, vous détaillez les préceptes, vous organisez des liturgies mais votre cœur est loin des gens et lorsque survient le péril, vous vous tenez à l’écart.

Tandis que moi, affirme Jésus, je marche en tête des miens que j’aime, et je m’expose pour eux en première ligne. En effet lorsque ses ennemis viendront l’arrêter au jardin des oliviers, Jésus se présentera seul devant eux et il permettra à ses disciples de s’enfuir (18, 8). Il ira seul au supplice de la croix pour eux. Car ses disciples ne sont pas de simples élèves, des membres de son organisation, des adeptes de sa doctrine : chacun « compte pour lui », a une valeur infinie et mérite qu’il donne sa vie pour lui. 

L’AMOUR PERE/FILS FONDE L’AMOUR FILS/DISCIPLES.

Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.

D’abord deux remarques de vocabulaire. En hébreu, le verbe « connaître » employé pour des personnes ne se limite pas à des informations superficielles sur l’identité, l’adresse, la profession d’une personne mais connote aussi l’amour, l’attachement profond.

D’autre part le « comme » ne signifie pas seulement une comparaison (faites comme moi) mais aussi un effet, une similitude : c’est « parce que » Père et Fils se connaissent et s’aiment de cette façon que le Fils peut aimer les siens. On peut donc dire ceci :

Jésus se perçoit comme le Fils infiniment aimé par son Père : c’est ce même amour infini qu’il porte à ses disciples et c’est pour cela qu’il est capable de donner sa vie pour eux. Et eux, en retour, sont entraînés à partager cet amour avec lui.

La charité chrétienne n’est pas une bonne entente, une concorde entre gens bien élevés : elle n’est rien moins que l’effusion de l’amour divin de Jésus pour les siens et donc des siens pour le Père et entre eux.

VERS L’UNITE

J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur.

Jésus a soustrait ses disciples puis maintenant l’aveugle guéri hors de l’emprise d’un système religieux qui imposait un joug de contraintes : désormais ils sont ses brebis qu’il conduit vers le Père.

A présent son regard s’étend au-delà de toute frontière : « il faut » - c.à.d. c’est le projet de Dieu son Père - qu’il opère partout la même sortie de la multitude des hommes qui sont actuellement enclos dans des systèmes similaires. Cela justifie l’importance de la mission.

Partout et jusqu’à la fin des temps, des hommes entendront  la voix de Jésus – c.à.d. l’appel de l’Evangile – et ils formeront une seule communauté, une seule Eglise. La foi ne laminera pas les différences, ne coulera pas dans le même moule et les disciples ne seront pas des « moutons de panurge » car au contraire la foi éveille la personnalité, suscite les talents personnels, éveille à des initiatives toujours nouvelles. Que de différences entre les Saint(s), entre Benoît dans son abbaye et François-Xavier courant à l’autre bout du monde, entre la petite Thérèse dans son carmel et mère Térésa au chevet des mourants.

Ainsi saint Paul exulte de voir les murs entre nations s’écrouler : « Jésus a aboli la Loi et ses commandements avec leurs observances. Il a voulu, à partir du Juif et de païen, créer en Lui un seul homme nouveau en établissant la paix et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps » ( Eph 2, 15)

DONNER SA VIE UN JOUR POUR LA RECEVOIR TOUJOURS

Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

La « pastorale » de Jésus n’a rien d’une scène paisible: affirmer qu’il est plus capable que Caïphe de conduire les hommes à Dieu est une affirmation intolérable, appeler ses disciples à se détourner des grands prêtres et à écouter son enseignement plutôt que celui des scribes spécialistes des Ecritures, quel scandale ! Ces affirmations audacieuses ne peuvent qu’attiser l’incompréhension, la rage, l’hostilité, la haine de ceux qui se croient les pasteurs authentiques.

Déjà on a voulu arrêter Jésus (7, 32 ; 8, 20), certains ont cherché à le lapider (8, 59) : l’étau se referme sur lui et on parviendra bientôt à le supprimer. Mais Jésus n’est pas la victime d’un complot : il a reçu mission de son Père et il l’accomplit jusqu’au bout. On ne le supprimera pas : c’est lui qui se donne par amour de son Père et des hommes. C’est pourquoi il retrouvera cette vie.

La certitude de l’amour du Père plus fort que la mort est pour lui promesse de résurrection.