LA TRAGIQUE MÉPRISE
Jésus n’a pas décidé de mourir afin d’être la victime qui apaise la colère de Dieu contre les pécheurs : il monte à Jérusalem parce que c’est le pèlerinage obligatoire du printemps, célébration de 8 jours de la sortie des Hébreux hors de l’esclavage en Egypte. La Pâque est donc la grande fête de la libération : en sacrifiant et en mangeant ensemble un jeune agneau, comme les ancêtres l’ont fait pour accomplir leur exode, le peuple chante son Dieu qui veut que les hommes soient libres et qu’aucun ne soit tyran des autres. Le souvenir de la libération hors d’Egypte est la promesse certaine des futures interventions de Dieu qui libère. Donc Pâque est aussi possibilité de l’arrivée du Messie. Quelle libération apporte-t-il ?
Cette année-là, Jésus est sans illusions et, en route, il n’a cessé de prévenir ses disciples du sort tragique qui l’attend : on le refusera, on le mettra à mort mais c’est ainsi qu’il sera lui-même réellement le véritable agneau pascal dont le sacrifice obtiendra le pardon des péchés, la libération de l’esclavage du mal. Son Père ne lui épargnera pas la mort mais la lui fera traverser. Alors le Royaume viendra.
Ce message répété déconcerte totalement les disciples qui sont persuadés que Jésus, le Messie attendu, va être triomphalement accueilli par la capitale où il soulèvera la population pour arracher la libération du joug romain. Et en effet, lorsqu’on apprend l’arrivée de ce Galiléen qui annonce la venue du Règne de Dieu, qui appartient à la descendance du grand roi David et qui opère des guérisons extraordinaires, l’effervescence éclate et on organise « la Joyeuse Entrée » du Libérateur.
Lorsqu’ils approchent de Jérusalem, vers Bethphagé et Béthanie, près du mont des Oliviers, Jésus envoie deux de ses disciples et leur dit : « Allez au village qui est en face de vous. Dès que vous y entrerez, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le et amenez-le. Si l’on vous dit : “Que faites-vous là ?”, répondez : “Le Seigneur en a besoin, mais il vous le renverra aussitôt.” » Ils partirent, trouvèrent un petit âne attaché près d’une porte, dehors, dans la rue, et ils le détachèrent. Des gens qui se trouvaient là leur demandaient : « Qu’avez-vous à détacher cet ânon ? » Ils répondirent ce que Jésus leur avait dit, et on les laissa faire. Ils amenèrent le petit âne à Jésus, le couvrirent de leurs manteaux, et Jésus s’assit dessus.
Alors, beaucoup de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin, d’autres, des feuillages coupés dans les champs. Ceux qui marchaient devant et ceux qui suivaient criaient : « Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père. Hosanna au plus haut des cieux ! » Jésus entra à Jérusalem, dans le Temple. Il parcourut du regard toutes choses et, comme c’était déjà le soir, il sortit pour aller à Béthanie avec les Douze.
La foule est sans doute étonnée de voir Jésus pénétrer en ville assis sur un petit âne mais personne, semble-t-il, ne comprend qu’il veut ainsi réaliser ce qu’un prophète avait jadis annoncé (cité par Matthieu et Jean) :
« Tressaille d’allégresse, fille de Sion. Pousse des acclamations, fille de Jérusalem ! Voici que ton Roi s’avance vers toi : il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, un ânon tout jeune.
Il supprimera le char de guerre d’Israël et le char de combat de Jérusalem. Et il proclamera la paix pour les nations…. » (Zacharie 9, 9)
Oui Jésus est bien Roi mais il n’a rien de commun avec Louis XIV, Napoléon et tous les ambitieux avides de pouvoir et rêvant de batailles, d’extermination de l’ennemi et de grandeur. Il n’a pas choisi un cheval mais un ânon qui signifie bien qu’il est un Messie humble, sans force, s’avançant avec patience, sans nul éclat et qui veut la paix dans son peuple et entre tous les peuples du monde.
Et que va-t-il faire ? Il se dirige vers le temple comme vers son palais ; le lendemain, il revient dans « la Maison de son Père » pour en chasser les marchands de bétail et les changeurs (11, 15) ; puis, les jours suivants, il s’installe sur l’esplanade et il ENSEIGNE le peuple. (11, 18 ; 11, 35.38…).
Au lieu de provoquer le soulèvement, condamner le monde païen et menacer de l’enfer, Jésus cherche à convertir son peuple et d’abord les autorités qui ont fait déraper le culte dans le trafic, la morale dans le légalisme, le droit dans le juridisme et qui ont transformé la Loi en un carcan insupportable.
C’est pourquoi, de plus en plus excédés par cette prétention, déçus devant ce pseudo-libérateur qui semble impuissant, les gens vont se retourner contre lui et les joyeuses ovations se transformeront en cris de haine : « Crucifie-le ! Crucifie-le ». Celui qui était monté sur un petit âne sera monté sur la croix.
Tant de fois, hélas, dans son histoire, l’Eglise a aimé les manifestations triomphales. Et beaucoup veulent un Dieu qui donne prospérité dans les affaires, soleil pendant les vacances et réussite aux examens.
Aujourd’hui les temps ont changé. On caricature l’Eglise sans vergogne, on brise des statues, on profane des tabernacles et surtout on persécute et on tue des chrétiens comme jamais on ne l’a fait dans l’histoire. Les fidèles sont « des ânes ridicules » ! Faut-il se lamenter ou s’en réjouir ?
L’Eglise est forcée d’abandonner son cheval de bataille et ses cortèges de pourpre pour s’avancer dorénavant en toute simplicité, sans force, vulnérable, ridicule et insignifiante. Elle suit son Seigneur. Car c’est quand elle est faible qu’elle est forte (cf. Saint Paul - 2 Cor 12, 10)
Aujourd’hui nous mimons cette entrée des rameaux qui clôture notre cheminement de carême mais ensuite nous écoutons l’hymne au Christ que chantaient déjà nos frères et sœurs des premières générations :
« Le Christ qui était de condition divine…se dépouilla…devenant obéissant jusqu’à mourir sur une croix…C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout et lui a conféré le titre de Seigneur »
(Paul aux Philippiens 2).
Et nous nous engageons, en cette Grande Semaine, à écouter les enseignements de Jésus, à avouer que nous ne les avons pas toujours suivis, à contempler la croix, à nous laisser purifier par Celui qui désire être notre Roi, mais dans la liberté, la pauvreté, la tendresse.
Pour Jésus la paix du monde commence par une Eglise purifiée.
C’est au crucifix que nous accrochons notre brin de buis mais à Pâques, nos « HOSANNAH » de ce jour deviendront des « ALLELUIA » pour le crucifié devenu NOTRE SEIGNEUR.