5eme dimanche de Carême A

Auteur: Didier Croonenberghs
Date de rédaction: 15/03/15
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2014-2015


Crime et châtiment : un chef d'oeuvre de Dostoïevski racontant une désescalade sociale, le chute et l'exil d'un étudiant, nommé Raskolnikov qui commet un meurtre pour sortir de sa condition. Un livre au climat lourd et plein de culpabilité. Et pourtant —au coeur du récit— le personnage central est pris d’un soudain désir de vivre. Et dans un célèbre passage, il demande à Sonia, une prostituée dont il est tombé amoureux, de lui lire le chapitre de Jean que nous venons d'entendre. « Lis-moi le chapitre sur Lazare ! » dit-il à Sonia. « Lis-moi les pages où il est question de la résurrection, trouve-moi ça dans l'Evangile. J'ai besoin de les entendre. » Et Sonia ouvre le livre, trouve la page et lit le chapitre jusqu'à cette exclamation « Lazare, sors ! Et le mort sortit ! »

Ce livre, Crime et châtiment, est une allégorie de la résurrection, l'image d'un nouveau départ malgré le deuil et l'échec, la culpabilité. Et l’histoire de Lazare est une allégorie de notre condition humaine, de nos existences. Qui ont parfois peine à vivre, comme Lazare ! Qui sont frappées d’asthénie, comme Lazare ! Qui restent muettes, comme Lazare.
Derrière l’histoire de Lazare, il y a toutes nos histoires qui veulent entendre une parole nous dire « Sors ! »

L'enjeu de cet Evangile n'est pas celui d'un salut après la mort, ou d'une manifestation miraculeuse de puissance, mais avant tout de notre vie avant la mort ! Il s'agit bien de vivre dès aujourd'hui, et non de dévivre.
Car il y a tant de personnes —vous et moi— qui parfois cessent de vivre, sans pour autant mourir. Des intermittents de la vie ! Or, l’enjeu décisif de toute existence, ce n’est pas de mourir, mais de mourir vivant.

Pour marcher sur ce chemin de vie, il faut pouvoir entendre cet appel ! « Sors » dit Jésus. Quitte tes forces de morts intérieures. Sors de tes terres d'esclavage, de tes histoires passées comme la Samaritaine, de tes aveuglements comme l’aveugle-né, de ton passé, comme Raskolnikov !
Il faut que quelqu'un nous dise: « Sors ! » Prends l’air frais de l’Esprit. Sors de toi, de tes peurs, roule la pierre de ton tombeau, car ta vie sent le renfermé !

Je ne sais pas si vous avez remarqué mais les proches de Lazare ne parlent pas de lui comme un mort, avant que Jésus ne dise lui-même que « Lazare est mort ». Un peu comme s'il y avait des morts en nous que nous ne voulons pas voir, mais que le Christ nous invite à regarder lucidement!

Il y a toutes ces morts sociales, familiales, qu'il faut combattre. Ces amitiés qui se meurent. Nous avons tellement de facilité à nous enfermer dans nos tombeaux... C'est à ce moment là qu'il faut s'entendre dire « Sors ! » Plonge dans la vie. Vis ton baptême, celui qui te plonge dans un deuil pour t’ouvrir un chemin de résurrection. Car pour renaître, il faut savoir mourir. Faire le deuil de ce qui n'est plus. Voilà le difficile travail du deuil et de l’enfantement, qui précède toute résurrection: ne pas ligoter l'être aimé dans des liens, mais le délier, pour qu'il puisse librement continuer à avancer.

Le chemin de Lazare est un chemin de baptême. Les trois évangiles que nous avons lus ces derniers dimanches parlent en effet tous de baptême, pour nous préparer à Pâques. A côté de l'eau vive de la Samaritaine, à côté de l'eau de la piscine de Siloé, il y a aujourd’hui Lazare, qui quitte sa maladie pour se relever. Il quitte cette maladie qui le rend sans force, pour découvrir une délivrance.

Et dans cette histoire, vous l'avez entendu, tout le monde pleure ! Marie, Jésus, les juifs qui les entourent. Comme si les larmes —quand il n'y a parfois plus rien à espérer— étaient signe de cette eau d'un nouveau baptême. Comme si parfois nos larmes d'enfant, nos larmes de deuil, pouvaient conduire à l'enfantement d'un monde nouveau. Les pères de l'Eglise appelaient d'ailleurs les larmes notre deuxième baptême...

Voilà ce à nous appelle ce texte, qui n’a rien d’une manifestation de puissance. C’est la fragilité, la traversée l’en-bas pour s'entendre finalement dire: Sors, renais à la vie ! Voilà le mystère de Pâques que nous nous préparons à célébrer. Amen.