Epiphanie du Seigneur

Auteur: Philippe Henne
Date de rédaction: 4/01/14
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

            Toute la fête de l’Epiphanie est basée sur le choc des images et des préjugés. Le premier contraste est bien connu et bien apparent : c’est celui qui oppose la gloire et la richesse des mages à la pauvreté et la misère du nouveau-né. Les peintres se sont régalés dans la représentation de ce contraste. A la richesse des vêtements et des parures orientales s’oppose la misère, certes propre et bien faite, mais la misère quand même du nourrission et de ses parents.

            Et pourtant l’opposition est bien plus grande encore. D’où viennent ces mages ? D’Orient, certes, mais plus précisément de la Mésopotamie. C’est-à-dire de la région de Babylone. Ah ! Quelle ville peut-elle être plus détestée que Babylone ? Dans le l ivre des psaumes, il est un chant qui commence merveilleusement : « aux bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion » (Psaume 136, 1). C’est dans ce cadre romantique à souhait et dans cette douce atmosphère déprimée que les gens de Babylone demandent aux Hébreux de leur chanter un chant de leur pays. La réaction est immédiate, violente, brutale : « O Babylone misérable, heureux qui te revaudras le maux que tu nous valus ». Cette menace ne reste pas vague et générale. Elle devient précise, d’une cruauté scandaleuse : « heureux qui saisira tes enfants, pour les briser contre le roc » (Psaume 136, 9). Comment peut-on dire de telles choses ? Comment peut-on souhaiter de telles horreurs ? Cela illustre toute la haine que certains Hébreux avaient pour le peuple de Babylone. Ils allaient jusqu’à souhaiter que les enfants aient le crâne brisé sur le roc. Et voilà que des mages venus de cette ville abhorrée viennent adorer l’Enfant-Dieu. Ce n’est pas Hérode qui s’approchera du Fils de Dieu. Il a trop peur de perdre son poste de roi. Ce ne sont pas les scribes qui reconnaîtront la venue du Sauveur. Ils sont trop occupés à étudier la lettre des Ecritures et les images de la Bible pour y reconnaître la dimension révolutionnaire des prophéties et des révélations divines. Ce ne sont pas les pharisiens qui s’agenouilleront devant l’Enfant-Roi de l’univers. Ils sont trop imbus d’eux-mêmes, tellement convaincus d’avoir tout compris qu’ils expliquent à tout le monde, même au grand-prêtre ce que c’est que la vraie religion. Non ! Ce sont des païens, prêtres et savants d’une religion cruelle qui quittent tout pour s’agenouiller devant un bébé qui crie et qui braille. Et la première question que nous pouvons nous poser est la suivante : quels sont les Babyloniens d’aujourd’hui ? Quelles sont les personnes que nous craignons tellement que nous ne les croyons à tout jamais exclus de tout salut chrétien ? Quels sont ces horribles persécuteurs qui nous ont fait tant souffrir et qui continuent à nous menacer ? Dieu nous dit aujourd’hui que ces horribles personnages seront peut-être qui reconnaîtront le vrai Dieu présent dans notre vie d’aujourd’hui.

            Allons plus loin et posons-nous cette question : pourquoi donc ces mages ont-ils quitté leur laboratoire bien confortable pour traverser le désert de Syrie et aboutir à une misérable étable battue par le vent et par la pluie ? Ils ont tout quitté parce qu’ils ont vu une étoile. Et oui, pour eux, comme pour tous les coreligionnaires, le destin de chacun être humain est inscrit dans les étoiles. Ce sont eux, les mages, qui ont créé et développé l’astrologie. Si aujourd’hui certains d’entre nous lisent leur horoscope, c’est parce que les mages de Babylone ont cherché à établir le destin de chacun à partir des étoiles. Et c’est là sans doute l’une des plus belles incohérences de ce récit. Dieu se sert des superstitions païennes pour élever les peuples égarés à la lumière de son entière vérité. Et c’est là la deuxième question que nous pouvons nous poser : quel est dans le monde d’aujourd’hui le culte païen qui pourrait être transfiguré et transformé en leçon d’amour pour Dieu ? Serait-ce l’appât du gain, le recherche du plaisir, la peur de la mort et de la souffrance ? Quel signe Dieu enverrait-il dans le monde d’aujourd’hui pour que les hommes se lèvent soudain, renoncent à leur petit confort personnel et s’élancent à la recherche de l’étoile du bonheur ?
            Et je terminerai par cette troisième et dernière constatation : les mages n’ont pas été déçus de voir un bébé à la place d’une étoile. Ils ont été très certainement surpris, mais ils ont accepté cette forme nouvelle et apparemment décevante de ce Dieu tout-puissant. Ils se sont prosternés et ils l’ont adoré. Ils ont été capables de cette conversion parce qu’ils avaient infiniment besoin de Dieu. Ils le cherchaient même la nuit à travers les étoiles. Et cette quête était tellement brûlante qu’ils ont tout quitté pour le chercher encore plus loin. Hérode n’avait pas besoin de Dieu : il avait le pouvoir. Les scribes n’avaient pas besoin de Dieu : ils avaient leurs discussions théologiques, ils parlaient de l’amour et s’endormaient dans leur fauteuil. Les pharisiens n’avaient pas besoin de Dieu : ils avaient leurs prières qu’ils accomplissaient scrupuleusement, ils parlaient de Dieu, mais ils n’écoutaient plus ce Dieu qui leur parlait à travers les étrangers, les marginaux, les exploités. L’évangile de ce jour nous propose donc l’image de gens passionnés par la question de Dieu, tellement passionnés par cette question qu’ils ont été capables de quitter le confort douillet et rassurant de leur laboratoire pour accueillir dans la misère humaine la présence du Bien-aimé sauveur de tous les hommes.

            Alors, en cette fête de l’Epiphanie, prenons le risque d’être surpris par les manifestations de Dieu dans notre vie et posons-nous cette question : quelle sera l’étoile qui m’emportera dans une nouvelle aventure d’amour avec Dieu ?