Le début et la fin de cet évangile sont un appel à la foi. « Si quelqu'un m'aime, il restera fidèle à ma parole (...) Lorsque toutes les choses annoncées arriveront, vous croirez. » Je me suis souvent demandé, et avec d'autres chrétiens, ce qui rendait si ardue notre foi, si exigeant notre amour de Dieu. La raison la plus évidente est liée à l'absence et au silence de Dieu. En effet, un exemple simple illustre l'importance pour nous de se sentir écouté. Au téléphone et tout au long de la communication, nos « oui » d'acquiescement accompagnent ce qui nous est confié par notre interlocuteur. Si ces signes d'attention cessent, la personne s'inquiète et vérifie la qualité réelle de notre écoute . Il en est de même dans la foi et pour Dieu. Dans la foi, Dieu reste invisible et comme absent. Il ne nous signifie pas son attention.
Le « credo » commence par ces 2 mots : « je crois ». Si le « je » affirme d'emblée la conscience de soi, l'assurance en soi et la suffisance il n'est prononcé, dans la foi, que pour être en quelque sorte annulé par le verbe « croire ». Ce « je » ne croit pas en lui mais en un autre, un Tout- Autre qui est Dieu. Par la foi, on sort de soi et on entre dans l'absolument Autre. Dire « je », c'est dire : « je me remets et m'abandonne à toi ». Je me dépouille de moi pour me remettre à Dieu. Je renonce à mon seul arbitrage pour jumeler mon autonomie à la sagesse divine. La foi est l'acte du pauvre. La pauvreté n'est ni un v½u, ni un conseil évangélique, ni un courant de la vie spirituelle, ni la 1ère béatitude. Elle est l'acte premier de la foi, le point de départ de l'entrée en Dieu, le concret de toute vie chrétienne. La foi, c'est l'acte de celui qui accepte de se laisser dépouiller de ses jugements de valeur, de ses références humaines pour entrer dans cette « valeur d'un Dieu déroutant », précisément, parce que invisible et absent. La foi nous libère d'une fausse richesse qui est avant tout celle des idées que nous nous sommes faites de Dieu. Nous voudrions surtout de lui qu'il soit Fort, qu'il règle définitivement, et dès aujourd'hui sur terre, le sort de tous nos ennemis, étant bien entendu que ceux-ci sont nécessairement les siens ! Mais voilà, le Dieu de la foi est toujours récalcitrant à nos idées de réussite, à nos intérêts de puissance, à nos volontés de triomphe. Seule la compréhension des raisons pour lesquelles Dieu nous résiste dissipera cet éternel malaise d'un Dieu fait à notre mesure. Une religion de puissance, à coups de miracles ou de cataclysmes, met Dieu à notre service. Or, dans la foi, il s'agit de servir Dieu et non de l'asservir. Le rôle de la religion est de nous ajuster à la parole de Dieu et non de la soumettre à nos appétits capricieux et à nos vues humaines réductrices. Par ailleurs, les interventions de Dieu que nous attendons le plus souvent (succès temporels, guérisons, mort des méchants, confusion des mauvais, apaisement des soucis) pourraient nous distraire d'une autre vie pour laquelle nous sommes faits et à laquelle il nous faut nous préparer. Et, c'est bien là, la raison pour laquelle Jésus opérait ses miracles comme à regret et en secret, tout en recommandant le silence. C'est comme s'il pressentait que ces signes risqueraient de distraire l'attente des siens de ce qu'il voulait leur révéler du royaume : une vie bienheureuse sans fin au sein du Père dans la Trinité Sainte. Si Jésus a refusé de donner à ses contemporains des signes de puissance pour alimenter leur foi, c'est qu'il savait que ces miracles détourneraient l'attention de sa propre personne. Or, c'est par sa personne, ses paroles et ses gestes de tous les jours que se manifestait le divin. Il en est encore ainsi aujourd'hui. Nous confions notre foi à un homme qui dort pendant la tempête parce qu'il en est le maître, à un homme qui meurt sur la croix parce qu'il ressuscitera et se donnera en nourriture en chaque eucharistie.
A ceux qui voulaient profiter de prodiges spectaculaires ou de miracles intéressés pour se passer de sa personne, Jésus n'offre, « que » lui-même au travers de gestes de miséricorde, des attitudes de solidarité, des paroles de bonté. Mais, comme ses contemporains, nous ne sentons pas le prodige et la puissance de celui qui a inventé de nous sauver par la croix, de nous chérir en sa Passion, de nous aimer dans l'invisible. La foi, ou la confiance en Dieu, nous libère de toute fausse idée de l'action de Dieu qui agirait autrement que dans l'invisible, « en » et « par » nos c½urs, par notre témoignage d'amour et de foi.
La foi nous libère aussi et surtout d'une défroque ancestrale qui ferait d'elle un juste-au-corps étriqué à enfiler sans se poser de questions, sans l'ajuster au réel et cela, qui plus est, au nom de la vertu ! Beaucoup rêvent d'une foi sans ombre et sans doute mais une telle foi est fossilisée et figée. En se privant d'expériences nouvelles, elle n'est au fond qu'une ignorance masquée, une incertitude camouflée, une incrédulité dissimulée. La peur terrible de perdre la foi, pour peu que nous y réfléchissions, n'est-elle pas le signe, alors, que nous ne l'avons jamais eue ? La foi du charbonnier convient bien au charbonnier. Nous, nous devons avoir des raisons de croire proportionnées à notre culture, à notre âge, à nos savoirs. La foi n'est pas plus une richesse acquise qu'un bien reçu que nous enfouirions dans le sol de crainte d'être volé. Elle n'est pas un trésor à calfeutrer, un savoir à dérober à la réflexion. Elle est une marche sur les eaux, une aventure à la suite du Christ. Elle nous fait quitter le rivage de nos certitudes humaines pour prendre le large des références divines. Elle nous fait laisser la stabilité rassurante des rives pour affronter, en pleine mer, les flots des évènements, les tempêtes des contradictions, les creux de la vie. Et, quand nous tenons la main de Jésus, nous marchons sur ces flots, nous résistons à toutes les lames de fond que le monde nous jette au visage.
On ne se repose pas dans la foi, on s'expose en elle. La vie, au travers des évènements ne cesse de nous surprendre, de nous désinstaller, de nous questionner. Ne restons pas à grelotter sur la rive. Suivons le Christ dans la foi qui est un départ- comme tout amour- et qui nous ouvre au grand large de Dieu. Elle nous ouvre à une quête du divin jamais achevée. A la lumière de cette foi, toujours mieux éclairée et ancrée en nous par la prière, l'étude et la communion eucharistique, accueillons les évènements du monde. Nous apprendrons leur leçon, comprendrons leur portée et supporterons leurs avatars.
Grâce à la foi, nous pourrons alors les faire concourir, dans la grâce et selon notre possible, au bien le plus profond de tous. Car, la foi nous dit qu'au terme de tout, un autre monde existe, une autre dimension où règnent paix et amour, un autre côté du temps, éternel et serein, un autre espace où Dieu se tient et attend. Il nous est possible de nous y introduire dès aujourd'hui, en arrhes et prémices, par tout geste d'amour, tout effort de vertu, toute parole de bonté et tout acte de compassion