Fête de la Sainte Trinité

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2003-2004

Dieu est relations

Le célèbre biologiste Albert Jacquard, connu pour ses engagements en faveur des pauvres et sa lutte pour la défense de l'environnement, a publié, l'an dernier, un essai qui est resté longtemps au top des ventes des libraires et intitulé : " DIEU ?" (éd. Stock-Bayard)

Passant en revue les articles du CREDO, qui a constitué le n½ud de son éducation catholique, Jacquard assure que, avec le progrès des connaissances scientifiques, il n'est plus possible à un savant d'accorder créance à ces vieux mots : " JE CROIS ...UN...DIEU...SON FILS...RESSUSCITÉ...L'ESPRIT...". Au fond, conclut-il, ces mots mystérieux n'ont guère d'importance : il suffit d'accepter le message de Jésus tel qu'il l'a proclamé dans le Sermon sur la Montagne. Seul importe ce qu'il faut faire.

JESUS N'EST-IL QU'UN SAGE ?

Même si l'on admire la sublimité de cet enseignement de Jésus et si l'on décide de le prendre comme norme d'existence, il n'est pas "scientifique" (pour entrer dans la mentalité de notre auteur) de prélever ces trois chapitres de l'évangile de saint Matthieu pour les dresser en "charte du christianisme". Car si Jésus n'est que l'admirable créateur des Béatitudes et de ce Sermon, il faut le ranger à la suite de Jean-Baptiste, Moïse, des prophètes d'Israël ou même ceux d'autres religions. A leur niveau, il n'est plus qu'un sage, un grand spirituel, un professeur de morale, un leader idéaliste, un utopiste généreux. Dans ce cas, il n'y a plus de Nouveau Testament, ni de christianisme : nous demeurons des élèves qui essaient d'appliquer les leçons d'un enseignant surdoué. Et n'oublions pas que, devant une Loi, si belle soit-elle, il n'y a pas de pardon !

Or la lecture non sélective mais intégrale des évangiles n'autorise pas à enfermer Jésus dans cette esquisse : elle oblige au contraire à se reposer sans cesse la question qui traverse le Nouveau Testament :

" Qui donc est cet homme ?".

Qui est cet homme qui, à la suite des Béatitudes, ose proclamer que son programme ne supprime certes pas l'enseignement de la Loi juive mais le dépasse et le radicalise absolument : " On vous a dit...Moi je vous dis..." ?

Qui est cet homme qui, au c½ur même de ce fameux Sermon, apprend une toute nouvelle façon de s'adresser à Dieu : " Quand vous voulez prier, vous direz : NOTRE PERE QUI ES AUX CIEUX..." ?

Qui est cet homme qui, non seulement énonce de magnifiques enseignements, mais exige que ses disciples se donnent à lui totalement jusqu'à le suivre en renonçant à tout - même aux valeurs sacrées de la famille - et se disposent à donner leur vie pour lui ? Nul maître n'avait de telles prétentions !

Qui est cet homme qui, à la veille de sa mort, révèle que s'il s'en va, il reviendra dans la Gloire à la fin de l'histoire et que c'est lui qui jugera toutes les nations sur le seul critère de l'équivalence entre lui-même et les démunis ? " Venez les bénis de mon Père : J'ai eu faim et vous m'avez nourri ; j'étais nu et vous m'avez vêtu..." Et tous seront stupéfaits : " Quand donc t'avons-nous rencontré ? " Et il dira : " Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à MOI que vous l'avez fait".

Enfin qui est cet homme qui, soupant avec ses disciples, ose leur tendre pain et coupe de vin en leur disant : " Prenez : ceci est mon corps...ceci est mon sang..." ?

Non, en toute honnêteté, on ne peut confondre Jésus avec un sage génial, un enseignant de morale, pas plus qu'avec un guérisseur ou un héros qui a donné sa vie pour ses idées.

Les évangiles n'assènent pas un credo tout fait : ils osent raconter qu'il a été très difficile, même pour ses proches, d'identifier Jésus, cet homme parmi les hommes, dont le comportement et les paroles faisaient éclater les idées approximatives que l'on se faisait de lui : "C'est le fils de Joseph...c'est un prophète...c'est Jean-Baptiste qui est revenu...". Les disciples ont mis beaucoup de temps pour enfin énoncer le titre qui leur paraissait vrai : Jésus est LE FILS DE DIEU. Et bien entendu, ils n'étaient pas naïfs : ils savaient que Dieu dépasse la paternité et la maternité et qu'il n'engendre pas comme nous.

D'autant qu'il y avait également l'ESPRIT auquel on croyait en Israël en tant que puissance créatrice, force d'inspiration des prophètes, énergie divine animant certains héros, sagesse fluide, idéal recherché par les plus grands maîtres. Mais Jésus en avait parlé de manière plus profonde : cette Sagesse pleine d'intelligence, cet Esprit qui venait de Dieu, cette RUAH qui manifestait le Souffle créateur et ré-créateur de Dieu, était Quelqu'un : L'ESPRIT-SAINT

Bref, les purs monothéistes qu'étaient les premiers disciples furent acculés - au prix de terribles efforts - à confesser qu'il n'y a qu'UN DIEU, mais que Jésus est SA PAROLE, son FILS, son IMAGE parfaite, et que le Souffle de Dieu est l'ESPRIT-SAINT.

Cette confession n'est pas jonglerie gratuite de concepts théologiques, équation irrationnelle : elle est la Révélation que Dieu est communion de personnes, dialogue dans la différence et l'égalité, accueil et réciprocité, Amour.

La TRINITE, que nous fêtons en ce jour, paraît un mot abstrait, insignifiant pour beaucoup : pourtant cette Révélation du vrai Dieu constitue bien l'essentiel, donc "le programme" pour l'humanité.

Si Dieu est unique, monolithique, seul, le danger, tant de fois prouvé par l'histoire et l'actualité, est de basculer dans l'intolérance, le fanatisme et même la guerre des religions.

Si Dieu est Jésus seul, la foi peut se réduire à un programme social, moteur de la construction d'une société meilleure enfermée dans les horizons terrestres.

Si Dieu est l'ESPRIT seul, il est facile de s'évader dans un monde irréel, commandé par des illusions faussement religieuses, et entraînant dans les sectes et l'ésotérisme.

Le grand philosophe russe Nicolas BERDIAEV étonnait mais avait raison de dire : " Notre programme social, c'est la Trinité".