Fête de la Sainte Trinité

Auteur: Berten Ignace
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2008-2009
Nous commençons nos célébrations en nous signant « Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ». Nous avons été baptisés « Au nom du Père... ». Dans le panorama des religions mondiales, l'image trinitaire de Dieu, liée à la reconnaissance de Jésus comme Fils de Dieu, est certainement la caractéristique la plus significative de la foi chrétienne. Cette expression de notre foi nous a séparés du judaïsme dans lequel nous plongeons nos racines, elle est récusée explicitement par l'islam, qui lui-même est né de sources principalement chrétiennes, elle fait difficulté pour les grandes traditions religieuses asiatiques. Nombreux sont les chrétiens qui disent : cette Trinité, c'est bien trop compliqué. Récemment, un pasteur protestant m'écrivait : je suis passionné par la personnalité de Jésus, mais mon Dieu est plutôt le Dieu de l'islam, parce que lui est simple. Bien des catholiques pensent sans doute la même chose. La majorité des croyants aujourd'hui ne peuvent pas croire quelque chose et adhérer à une expression de foi simplement parce qu'une autorité, celle de l'Église, déclare officiellement qu'il faut le croire. Nous ne sommes plus soumis ainsi à l'autorité. La religion et la foi dans son expression sont de l'ordre de l'adhésion personnelle libre, parce qu'on perçoit que c'est porteur de sens pour la vie. Il est important, en Église, que nous puissions reconnaître et accepter la profonde diversité qui existe entre nous. Nous ne possédons pas la vérité de Dieu. Personne, pas même le pape, ne peut exprimer toute la vérité de Dieu, toute la vérité dont Jésus Christ est porteur. Nous sommes croyants ensemble, en chemin vers la vérité, et il importe que nous soyons toujours en chemin, chercheurs d'humanité, chercheurs de Dieu. La vérité dont il s'agit ici, n'est pas seulement ni d'abord un ensemble de propositions ou de formules dites vraies, mais une attitude fondamentale de vie. Saint Jean affirme que « Celui qui dit : Je connais Jésus Christ", mais ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n'est pas en lui » (1Jn 2,4). Ce que les premiers disciples ont vécu dans leur relation à Jésus, en l'accompagnant sur les chemins de Palestine jusqu'à la mort, et ensuite dans l'expérience de Jésus ressuscité présent auprès d'eux, les a conduit à s'interroger tout à la fois sur Jésus lui-même : qui était-il, qui est-il donc ce Jésus ? et sur Dieu : qu'est-ce que Dieu nous dit de lui-même par et en Jésus ? Progressivement, à travers doutes et tâtonnements, la communauté chrétienne a dit de Jésus : il est le Fils de Dieu et Dieu continue à agir par son Esprit. L'expérience croyante chrétienne de Dieu et son expression sont dès lors marquées par des tensions, qui en font la difficulté, mais aussi la richesse. Dieu est le Tout-Autre, son mystère est insondable : nos mots, nos concepts, nos images sont incapables de le dire pleinement, de le définir. Et pourtant des hommes et des femmes vivent et se comportent d'une telle manière que, dans leur rencontre, il arrive que Dieu s'offre et se fait proche d'une présence bienfaisante. Des saints, des spirituels, pas toujours des personnalités exceptionnelles : ce sont aussi les petits saints du quotidien qui, à l'occasion, pour un tel ou une telle rayonnent la présence de Dieu. Dans la rencontre avec Jésus, cette expérience a été particulièrement forte, en lui Dieu prenait davantage visage, il se faisait proche comme un Père accueillant et miséricordieux. Dieu est reconnu comme créateur tout-puissant, source et fondement de notre existence, mais il respecte pleinement l'autonomie de sa création et notre liberté : il ne s'impose pas comme une contrainte, sa puissance ne joue pas au coup de force. Et ce n'est pas dans la puissance qu'il s'est révélé en Jésus. Sur la croix, ce Dieu en qui Jésus avait mis toute sa confiance comme un Père plein de bonté, n'intervient pas et semble abandonner totalement son Fils. En Jésus, reconnu comme le Fils de Dieu, c'est Dieu lui-même qui ainsi se livre au jeu tragique de notre liberté, qui se soumet à la mise à mort. Et en cela même, il ouvre notre histoire et notre vie sur une promesse : le mal et la mort n'ont pas et n'auront pas le dernier mot. Nous pouvons nous en remettre à Dieu : il est porteur de vie. En et par Jésus, la communauté de foi nous donne de nous ouvrir à un Dieu qui n'est pas une solitude enfermée en elle-même dans son autosuffisance, mais un Dieu qui est en lui-même fondamentalement relation, cette mystérieuse relation que nous exprimons en disant que Jésus est le Fils et que Dieu est Père, relation d'amour dans la réciprocité. Jésus nous ouvre à cette relation : par lui, nous découvrons que pour Dieu nous sommes véritablement des fils et des filles. Dans la prière, il nous est possible de nous adresser à lui : il est un Tu qui entend. Si nous pouvons dire que nous sommes image de Dieu, c'est aussi que les relations nous constituent. Selon la symbolique biblique, ce n'est pas l'homme dans son individualité, Adam, qui est image de Dieu, mais bien Adam et Ève dans leur relation réciproque, symbole de toute relation humaine, même si le récit biblique nous dit aussi que nos relations sont toujours pour une part blessées et blessantes. C'est d'abord sans doute en découvrant combien Jésus, dans ses relations, et pour eux-mêmes tout d'abord, suscitait ou ressuscitait véritablement la vie, que les disciples ont perçu que Dieu était à l'½uvre en lui et par lui. Si donc nous sommes appelés à être imitateurs de Dieu (Eph 5,1) comme le dit saint Paul, notre conduite est appelée à avoir pour mesure la relation aux autres. « Le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat » : ce qui prime en toute circonstance, ce n'est pas la règle, la norme, la loi ou les principes généraux, ou encore la nature des choses, mais concrètement ce qui dans la relation contribue à davantage de vie pour les personnes concernées. Jésus manifeste dans son existence que c'est ainsi que Dieu agit pour nous. Ce primat de la relation vaut tout autant pour les relations interpersonnelles immédiates que pour les relations économiques ou politiques. En se souvenant de l'histoire de Jésus et en faisant l'expérience de la nouveauté à laquelle la foi ouvre, la communauté des disciples a aussi découvert l'importance de l'action de l'Esprit. L'histoire n'est pas close. Les situations et les circonstances changent : le monde juif et le monde grec étaient deux mondes culturels différents : c'est l'Esprit qui a inspiré aux croyants de ces deux communautés comment vivre l'Évangile et la fidélité à Jésus dans ces mondes différents : c'était un autre langage à trouver, d'autres règles de comportement. L'Esprit invite à la créativité au service de la vie. Et il continue à en être ainsi tout au long de l'histoire. Notre monde change rapidement, notre horizon culturel est profondément différent de ce qu'il était il y a cent ou cinquante ans. Croire que Dieu est aussi l'Esprit, c'est croire qu'il y a en lui une source de créativité permanente et nous ouvrir à l'inspiration qui permet à la foi de rester vivante dans le présent. Que la foi en notre Dieu, dont le visage est trinitaire, soit pour nous tous source de lumière et de vie tout au long de notre existence."