Le Corps et le Sang du Seigneur

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2008-2009

En finale de la série des grandes solennités ( de Noël à la Trinité), nous fêtons aujourd'hui le Sacrement qui les récapitule toutes et qui les actualise chaque dimanche: le SAINT SACREMENT DU CORPS ET DU SANG DU CHRIST. Puisque nous approchons de la fin de l'ANNEE SAINT PAUL, nous proposons de méditer ce qu'en disait le grand apôtre: en effet c'est de lui que nous tenons le premier récit de la Dernière Cène. Alors qu'il était en train de développer l'Eglise d'Ephèse, Paul reçut des nouvelles de l'Eglise de Corinthe qu'il avait fondée dans les années 50/51. Il est scandalisé par leur façon de vivre l'assemblée dominicale et il ne leur envoie pas dire ! Quand vous vous réunissez en assemblée, il y a parmi vous des divisions...Ce n'est pas le "repas du Seigneur" que vous prenez ! Chacun se hâte de prendre son repas, l'un a faim, l'autre est ivre...Méprisez-vous l'Eglise de Dieu ?... ( I Corinthiens 11, 17 - 30) Les premières générations chrétiennes n'ont jamais disposé de chapelles: les réunions hebdomadaires se déroulaient chez un membre qui possédait une maison assez spacieuse pour accueillir le groupe. (Il n'est pas demandé aux riches de vendre leurs biens mais de les mettre au service de la communauté). Chacun apportait son panier de victuailles car l'Eucharistie s'accompagnait d'un repas en commun ("les agapes"). Et que se passait-il ? L' hôte qui recevait rassemblait les gens de son rang dans la belle pièce réservée aux réceptions tandis que les pauvres étaient relégués dans le patio !... Paul est furieux ! Reconstituer les séparations des classes sociales, faire de la discrimination ? Dans ce cas, hurle-t-il, "ce n'est pas le Repas du Seigneur". Et c'est pour couper court à cette dérive et retrouver la vérité de la réunion eucharistique que l'apôtre rappelle la dernière Cène - où il n'était naturellement pas présent mais dont on lui a transmis le déroulement et la signification: Voici ce que j'ai reçu du Seigneur et ce que je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain et, après avoir rendu grâce, il le rompit et dit: " Ceci est mon Corps qui est pour vous; faites cela en mémoire de moi". Il fit de même après le repas en disant: " Cette coupe est la Nouvelle Alliance en mon sang; faites cela toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi". Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne. Alors que naguère le jeune pharisien enrageait d'apprendre que certains de ses compatriotes s'étaient convertis à Jésus Messie, à présent l'ancien persécuteur raconte avec respect l'acte fondateur de l'Eucharistie. A l'heure même où il sait qu'il va être livré aux hommes pour subir le supplice le plus horrible, Jésus se livre, On ne prend pas sa vie: il la donne. L'exécution devient don, offrande. Très consciemment il "se donne" à ses disciples qui pourtant, il ne l'ignore pas, vont l'abandonner dans quelques heures. Jésus se fait l'agneau pascal de la Nouvelle alliance. Pendant des siècles, Israël avait célébré "la pâque", le sacrifice de l'agneau qui commémorait la libération de l'esclavage en Egypte, l'Alliance du Sinaï et la naissance du "peuple de Dieu". Dorénavant il s'agit de consommer, de s'approprier le sacrifice de Jésus afin de célébrer la sortie de l'esclavage du péché, la Nouvelle alliance en son sang et l'entrée dans le Royaume de Dieu. Ce repas ne se déroule pas le jeudi (jour de la dernière Cène) ni le vendredi (jour de la croix) mais le 3ème jour, le lendemain du sabbat, le jour où Jésus est ressuscité. Aussi très vite, on appellera " Le Jour du Seigneur"- qui, à travers le latin (domenica), donnera le mot français "dimanche"- lequel deviendra bien le 1er Jour de la semaine ( et non le week-end comme on dit ). Donc, dès les origines, toute communauté chrétienne se rassemble en ce jour du Seigneur; elle écoute les enseignements, elle se laisse interpeler par la Parole de Dieu, elle partage le Repas du Seigneur en commémorant le don de Jésus sur la croix, en célébrant sa Résurrection et sa Présence vivante aujourd'hui en son sein, et en attendant de la sorte le Retour du Seigneur. Le passé de la Pâque de Jésus, le présent de sa Vie partagée, l'espérance du Royaume définitif: cela crée la communion, fonde une cellule de paix mondiale. Tel est le contenu extraordinaire de l'Eucharistie. On comprend pourquoi Paul ne peut supporter qu'il y ait des scissions selon les "classes sociales": " Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire à cette coupe; car celui qui mange et boit sans discerner le Corps du Seigneur mange et boit sa propre condamnation ". Les Corinthiens croyaient que le Pain et le Vin distribués par le président d'assemblée étaient bien le Corps et le Sang du Christ mais ils n'en tiraient pas la conséquence immédiate. Ils ne "discernaient "pas LE CORPS DU CHRIST que le Repas du Seigneur constitue: les convives sont UN SEUL CORPS, un organisme vivant, une communauté réelle dont les membres acceptent leurs différences tout en entrant dans la communion les uns avec les autres. Il y avait là des Juifs et des Grecs, des patrons armateurs et des dockers, des vieux et des jeunes, des hommes et des femmes: la messe ne provoque pas un amalgame, elle n'abolit pas les différences mais elle fait de l'ensemble une COMMUNAUTE où chacun est UNE PERSONNE UNIQUE, respectée comme telle. Leçon jamais tout à fait acceptée ! On se rappelle que, au 19ème siècle, les riches étaient installés en avant sur de beaux sièges rouges tandis que les ouvriers étaient relégués derrière sur des chaises en paille ! Et l'Eglise a perdu la classe ouvrière qui s'est sentie non reconnue ! Il fallut attendre l'abbé Cardijn pour entendre le cri célèbre :" Un jeune ouvrier vaut tout l'or du monde". Le temps est fini où il suffisait d'obliger d'aller à la messe du dimanche. Des multitudes - et notamment les jeunes générations - se sont détournées de la pratique. Que faire ? Nous ne pouvons en rester à des plaintes stériles, ni nous répandre en critiques amères, ni nous résigner lâchement. La démarche de "pratiquer" est une décision lourde de sens; elle ne sera jamais celle d'une majorité. Saint Paul n'a pas édulcoré les exigences afin "d'avoir du monde". Pour lui, ce qui importait, c'était de créer une authentique communion chrétienne - peu importait le nombre, dont il ne parle jamais ! L'essentiel était de donner naissance à des chrétiens lucides sur l'engagement qu'ils prenaient. L'heure est à la vérité. Chaque chrétien est responsable. Travaillons à faire des célébrations significatives qui apparaissent comme "le repas du Seigneur". Y allons-nous avec autant d'allégresse que les jeunes à leurs concerts ? Nous empressons-nous d'arriver pour vivre l'acte le plus important de notre semaine ? Nous saluons-nous ? Nous préoccupons-nous les uns des autres ? Renversons-nous les disparités pour nous rejoindre dans le C½ur du Christ ? Sommes-nous UN CORPS ? Voit-on que nous nous aimons les uns les autres ? Le souvenir de la croix nous remplit-il de la joie du pardon et de l'espérance du monde de Dieu qui vient ?..