Dans l'introduction de son dernier livre, le frère Timothy Radcliffe, ancien Maître de l'Ordre des Prêcheurs, raconte qu'une mère, un dimanche, s'efforçait de tirer son fils du lit en lui disant qu'il était temps d'aller à l'église. Pas de réaction. Dix minutes plus tard, elle revient à l'assaut : « Lève-toi, immédiatement et va à l'église. - Laisse-moi s'il te plaît. C'est tellement assommant. Pourquoi devrais-je m'imposer cette corvée ? - Pour deux raisons, mon fils. La première, c'est que tu sais qu'il faut aller à la messe le dimanche ; la seconde, c'est que tu es l'évêque de ce diocèse. Il semble toutefois que les évêques ne soient pas les seuls à n'avoir pas toujours envie d'aller à l'église le dimanche matin. Lorsque j'étais aumônier de prison, je m'étonnais toujours du nombre de détenus souhaitant assister à l'eucharistie. Il m'a fallu un peu de temps pour découvrir que certains y venaient pour des raisons de foi, c'est vrai, mais que beaucoup d'autres cherchaient à sortir de leurs cellules tout simplement. Alors en cette fête du Saint Sacrement, prenons un peu de temps pour entrer dans ce mystère merveilleux qui peut nous rassembler chaque dimanche si nous souhaitons répondre positivement à l'invitation divine. Il s'agit bien plus d'un rassemblement de quelques personnes qui viennent partager leur foi. Par essence, l'eucharistie met en scène la trame fondamentale de toute vie humaine. Elle nous forme en tant que personnes qui croient, espèrent et aiment pour reprendre les propos de Timothy Radcliffe. La foi, l'espérance et l'amour : les fameuses vertus théologales seraient alors les fondations du sens même de l'eucharistie. N'est-ce pas logique puisque l'étymologie du verbe duquel est tiré le mot « eucharistie » signifie rendre grâce. Nous rendons ainsi grâce parce que « Dieu fait sa demeure en nous, et nous, notre demeure en Dieu ». En d'autres termes, lorsque nous vivons pleinement de la foi, de l'espérance et de l'amour nous participons dès à présent à la vie divine. Reprenons chacune de ces vertus et voyons comment elles s'illustrent dans le temps de nos célébrations. Elles ne sont pas plaquées l'une à la suite de l'autre dans une perspective esthétique. Non, chacune d'elles nous prépare plutôt à mieux entrer dans l'acte suivant de l'eucharistie. Après avoir pris le temps de nous préparer intérieurement, nous écoutons la Parole de Dieu non pas comme un récit historique ou une belle romance mais comme une nourriture qui nous fait grandir dans la foi. Cette Parole nous la recevons, nous la ruminons pour la faire, au fil des années, pleinement nôtre. La Parole de Dieu nous conduit ainsi à pouvoir vivre de cette foi qu'il nous est alors donné de pouvoir professer et méditer dans le moment du Credo. Fort de cela, nous entrons ensuite dans le temps de l'espérance même si celle-ci avait déjà pu se percevoir au moment de l'homélie pour que celle-ci ne soit ni trop longue, ni ennuyeuse par exemple. Dans chaque eucharistie, nous vivons de cette espérance en nous rappelant de l'événement prodigieux du don total du Fils de Dieu à l'humanité entière. Le temps de l'espérance se subdivise en deux parties pour reprendre des propos du théologien belge Adolphe Gesché. Selon lui, par les dons du pain et du vin, l'eucharistie est une métaphore vive. Elle est vive parce que nous prenons conscience que nous nous préparons à entrer dans un mystère qui dépasse tout entendement et qui demande un lâcher prise de notre part, un abandon dans les bras du Père. Ensuite, dans l'événement de la consécration, l'eucharistie devient une métaphore vivifiante, c'est-à-dire que le pain et le vin, devenus dans la foi, le Corps et le Sang de Jésus, sont pour nous l'espérance d'une joie tout présente ici et maintenant. Par la consécration, nous affirmons une nouvelle fois que la vie éternelle est déjà commencée en chacune et chacun de nous. L'eucharistie nous vivifie ainsi de l'intérieur et nous ouvre vers l'acte d'amour par excellence qui est la communion. A ce niveau-ci, l'eucharistie est perçue comme une métaphore vécue. Il ne s'agit plus simplement de nous trouver face à ce qui nous dépasse mais de vivre cet instant où nous sommes face au Christ ressuscité qui vient se donner une fois encore à nous pour ne faire plus qu'un avec nous. Au-delà de la force du partage, la communion nourrit nos forces intérieures nécessaires pour que nous puissions toujours affronter avec la plus grande sérénité possible les affres de la vie que peuvent être un accident, une maladie, un décès. S'il en est ainsi, heureux sommes-nous de pouvoir à chaque célébration eucharistique vivre cette célébration empreinte de foi, d'espérance et d'amour et nous faire ainsi participer pleinement à la vie divine pour mieux partir à la rencontre et accompagner celles et ceux de qui nous nous faisons proches. Devenons eucharistie vive, vivifiante et vécue les uns pour les autres au sein de la communauté que nous formons. Amen
Le Corps et le Sang du Seigneur
- Auteur: Cochinaux Philippe
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A, B, C
- Année: 2008-2009