Il y a des paris et de jeux qui m'ont toujours fait rire. Parmi ceux-ci, celui du «mot caché» qui veut que l'on glisse discrètement dans une conversation, conférence, ou un examen, un mot imposé, connu de certaines personnes seulement. Je ne sais pas si vous avez déjà joué à cela, mais une chose est certaine, c'est que lorsque le mot est prononcé et pas trop bien placé, les auditeurs ont souvent l'impression qu'il arrive par surprise, et on se demande ce qu'il apporte véritablement à la discussion. Je me rappelle, par exemple, d'une discussion où m'avait demandé de placer l'expression 'substantifique moëlle'. Mes auditeurs m'ont regardé avec des grands yeux... Je n'ai jamais fait cela dans un sermon, mais il n'est pas trop tard ! A la lecture de l'Evangile d'aujourd'hui, il m'a semblé que c'était comme si notre évangéliste avait joué au 'mot caché'. En effet, j'ai l'impression que c'est comme s'il avait essayé de glisser le mot «coussin» discrètement dans son évangile. Un mot, je trouve, arrivant un peu par surprise, et il est vrai que les autres évangélistes qui racontent ce récit de la tempête apaisée, n'utilisent pas ce mot. Je dis cela, à première vue seulement... car il est rare que les Evangiles fassent allusion à un détail qui n'aurait aucune d'importance. Alors, ne soyons pas suspicieux en jouant au 'mot caché', mais accordons vraiment de l'importance à ce mot ! N'y aurait-il pas derrière ce mot une réalité, sur laque Marc insiste, et que nous oublierions trop souvent: notre Dieu dort, et se repose, non par négligence, mais pour nous laisser conduire la barque. Comme créatures nouvelles, nous sommes dans le 7ème jour de la création, et Dieu se repose. Il a décidé de dormir, et pris son coussin ! Dans nos vies, tout peut être normalement 'en ordre', même si Dieu est apparemment absent. Dès lors, je me demande si ce mot n'est pas mentionné pour insister sur le fait que Jésus ne s'est pas assoupi, par surprise, en abandonnant ses disciples. S'il est vrai que notre Seigneur est là, caché, dormant à côté de nous, il n'est pas nécessaire à la traversée du lac de notre vie, comme s'il était un argument nécessaire pour nous justifier. Il n'est pas à la barre de notre barque. Il est simplement le présent-absent, ni responsable des événements, ni désintéressé pour autant. Dietrich Bonhoeffer, théologien allemand mort au camp de concentration de Flossenbürg en 1945 a une merveilleuse expression pour décrire ce Dieu qui n'est pas nécessaire, mais qui est continuellement présent avec nous. Il écrit ceci: « L'honnêteté demande que nous reconnaissions que nous devons vivre dans un monde comme s'il n'y avait pas de Dieu. Et c'est juste ce que nous reconnaissons devant Dieu! Dieu lui-même nous amène à réaliser cela. Dieu nous apprend que nous devons vivre comme des hommes qui savent vivre sans Lui. Nous nous trouvons continuellement en présence de Dieu, qui nous fait vivre sans l'hypothèse de Dieu. » Nous vivons dans une barque dans laquelle Dieu a décidé de dormir, pour ne pas que nous ayons constamment recours à lui. Mais dans les barques de nos églises traversant le même lac, il peut aussi nous arriver d'accuser Dieu à tort. Et comme les disciples, en arriver à culpabiliser Dieu! « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Culpabiliser l'autre, c'est avoir peur, et avoir peur, c'est manquer de foi. Manquer de foi, c'est donc culpabiliser l'autre en ne voyant pas qu'une situation peut parfois ne pas avoir d'explication. En effet, notre Dieu n'est pas un Dieu qui comble l'inexplicable, un Dieu qui serait à l'origine de tout ce qui nous arrive. Il est sans doute avant tout un Dieu créateur de l'espace qui fait que les hommes peuvent grandir et advenir à eux-mêmes. Nous pouvons vivre dans un monde où Dieu dort, précisément pour que nous le réveillons, et le fassions exister. Il ne s'assoupit pas en abandonnant des créatures qui auraient besoin constamment de lui. Bien plus, il décide de dormir dans notre barque, en prenant un coussin, pour laisser une distance créatrice! Et, même lorsque la tempête arrive, notre Dieu dort. Il n'est pas un instrument. Alors aujourd'hui, nous sommes invités à redécouvrir que la traversée du lac est peut-être simplement la traversée de notre vie. Elle est faite de calme, de tempêtes, d'imprévus auxquels il ne faut pas chercher des causes pour tout justifier, culpabiliser ou accuser. Et les tempêtes de notre monde ne sont pas un argument contre Dieu, comme si Dieu intervenait dans notre monde à tout moment. Mais lorsque qu'une tempête monte dans nos vies, lorsque la traversée se fait difficile, pour un Chrétien, la tempête ne peut avoir le dernier mot, et ne peut devenir un argument contre Dieu. Paradoxalement, notre Dieu, s'il est véritablement Dieu fragile et proche, peut devenir, par la foi, un «argument», ou plutôt une force contre le mal et les difficultés, et qui nous aide à apaiser nos tempêtes.
12e dimanche ordinaire, année B
- Auteur: Croonenberghs Didier
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : B
- Année: 2008-2009