Fête du Christ-Roi

Auteur: Raphaël Devillers
Date de rédaction: 23/11/14
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2013-2014

C’EST LA FIN DE TOUT

Nul doute qu’au palmarès des citations bibliques effectuées à notre époque, la première place ne reviendrait à la grande fresque du Jugement dernier. De Charles de Foucauld à l’abbé Pierre, de mère Térésa à Sœur Marie-Emmanuel, de l’Aide aux lépreux à A.T.D. Quart-Monde, tous s’appuient sans cesse sur ce texte pour justifier leurs admirables engagements en faveur des plus démunis.

En ce dimanche qui marque la fin de l’année liturgique en proclamant la Royauté universelle du Christ, nous écoutons cette scène qui clôture tous les enseignements de Jésus et éclaire le sens de cette mystérieuse Royauté. Ultime appel à nous convertir. Désormais nous savons ce que nous avons à faire.

Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, il siégera sur son trône de gloire. Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres.

Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”. Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? …Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?”. Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”

Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : “Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger … j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; nu, et vous ne m’avez pas habillé… ». Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim,…malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” Il leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.”.

Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle.

Quelle révélation stupéfiante ! Matthieu rédige son livre dans les années 80-85, moins de 50 ans après la mort de Jésus, alors que n’existent ici et là que quelques petites communautés chrétiennes et que, pour la très grosse majorité des gens, le souvenir de ce crucifié (un parmi tant d’autres) s’estompe.

Et Matthieu, en toute assurance, écrit cette scène qui nous percute par trois chocs consécutifs.

JESUS FILS DE L’HOMME

Le premier. Les prophètes bibliques avaient annoncé depuis longtemps que l’histoire des hommes marchait vers un terme et qu’à la fin des temps Dieu rendrait un jugement définitif : ceux qui ont vécu selon le droit et la justice seraient récompensés, ceux qui ont bafoué ces valeurs seraient châtiés.

Eh bien, dit Matthieu, c’est Jésus qui opèrera ce jugement. Oui, Jésus de Nazareth, ce petit artisan sans aucun titre, ce Galiléen qui a été condamné et exécuté sur une croix d’ignominie, cet homme est vivant dans la Gloire du Père : c’est lui le mystérieux Fils de l’homme que le prophète Daniel avait jadis annoncé (7, 13-14) :

« Je regardais dans les visions de la nuit et voici qu’avec les nuées du ciel venait comme un Fils d’Homme ; il arriva jusqu’à l’Ancien (Dieu) et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté »

UN CRITERE : LES ACTES DE MISERICORDE

2ème surprise. Ce jugement concernera l’humanité tout entière et se fera selon un unique critère : non les croyances en pensée, les liturgies fastueuses, les projets velléitaires, les pratiques ascétiques, les révélations privées mais uniquement les œuvres de miséricorde effectuées concrètement à l’endroit des plus malheureux. Qu’as-tu fait pour aider les malheureux, soutenir les démunis, sauver les affamés, consoler les désespérés ? On ne te demandera pas ce que tu as pensé à propos de la misère du monde, l’émotion que tu as ressentie devant les catastrophes vues sur le petit écran, ni non plus les initiatives que tu envisageais d’entreprendre plus tard.

Seules compteront les actions réalisées. Même petites mais réelles. Car jamais, dans la Bible, la pitié ne se réduit à un pincement de cœur : elle mobilise, engage, responsabilise, passe à l’acte – sinon elle est illusoire et elle ne console que celui qui la ressent et qui croit avoir bon cœur parce qu’il a la larme à l’œil.

LE FILS DE L’HOMME ANONYME

3ème surprise, plus grande encore. Jésus glorieux révèle qu’il était présent dans chacune de ces personnes en détresse : « C’est à moi que vous l’avez fait…C’est à moi que vous ne l’avez pas fait » !! Tous ces pauvres malheureux n’étaient pas des saints, ils avaient des défauts, parfois une apparence repoussante mais chacun souffrait, était mutilé dans son humanité, parfois méprisé, ignoré par l’entourage.

Jésus qui lui-même avait souffert de la pauvreté, de la faim, du mépris, de la prison, des coups, des injures, d’une condamnation sans raison, de la haine des juges, et qui avait agonisé seul dans l’épouvantable nuit de Gethsémani, révèle que son amour vécu dans une infinie détresse lui a fait rejoindre chacun et chacune de la multitude innombrable des souffrants. « C’était l’un des plus petits de mes frères…C’est à moi que vous l’avez fait »

Tout le monde ignorait ce mystère. Ceux qui ont fait le bien n’avaient pas cherché à accumuler des mérites, ils ne savaient pas que, dans leurs actes de miséricorde, ils atteignaient Jésus. Les chrétiens, à la messe, faisaient mémoire de la Passion de leur Seigneur puis, à l’hôpital ou dans la rue, rencontraient des malheureux ; prière et charité, amour pour Dieu et amour pour les hommes constituaient deux pratiques distinctes. Maintenant, bouleversés, ils apprennent le lien entre le mystère de l’Eucharistie et le mystère du frère. Tant à l’église que dans le monde, on entend : « Ceci est mon corps…ceci est mon sang ». Dans l’une, on le reçoit ; dans l’autre, on lui donne : « Voici mon cœur, mes bras, mes mains ».

Et tant d’incrédules et d’individus à la vie dissolue qui se croyaient condamnés sans recours découvriront, ahuris, émerveillés, que le Christ ne les jugeait pas sur leur immoralité mais sur leur générosité, sur toutes les occasions où ils étaient venus au secours d’un malheureux. Car le manque de foi n’empêche pas d’avoir bon cœur. « L’incroyant » n’est pas toujours celui que l’on pense.