Dimanche prochain, l’année liturgique avec Matthieu se clôturera normalement avec la grande scène du Jugement : aujourd’hui une des ultimes paraboles de Jésus nous presse d’agir pendant qu’il en est temps. La foi n’est pas une croyance privée et inefficace. Croire c’est agir. Croire c’est miser. Au boulot, vite !
LA PARABOLE DES TALENTS
Jésus parlait à ses disciples de sa venue et il disait cette parabole : « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla pour les faire valoir et en gagna cinq autres. De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre et cacha l’argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes. Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit : “Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.”
Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !”
Tous les livres du Nouveau Testament sont formels : ce Jésus que ses ennemis croyaient avoir anéanti est vivant et il a promis sa venue, sans toutefois en préciser la date. En cette durée immense et à échéance indéterminée (« longtemps après ») qui est le temps de l’Eglise, ses disciples ne sont pas des individus inscrits dans une organisation, des gens pieux de religion chrétienne : ils sont devant la tâche magnifique et colossale de poursuivre l’œuvre que Jésus a commencée et insérée dans l’histoire.
Les dons que le Seigneur nous a laissés sont d’une valeur incommensurable et c’est bien pour cela que le Seigneur emploie le mot de « talent ». Dans l’antiquité romaine, le « talentum » est une mesure de poids et une monnaie : environ 35 kg d’or soit 6000 francs-or. Attention ! Ce mot qui provient de cette parabole a maintenant changé de sens et désigne une qualité personnelle, une disposition innée, un art.
Ici il s’agit bien de cadeaux dont le Christ nous comble, d’une valeur inouïe: il nous a faits enfants de Dieu, nous a remplis d’Esprit-Saint, nous a permis de prier « Notre Père », nous a ouvert l’accueil permanent à la Miséricorde infinie du Père, nous a inculqué l’amour seul à vivre, nous a invités à la Table où nous mangeons sa Parole et son Pain afin d’être une communion fraternelle, etc. Que de grâces ! Que d’amour prodigué ! Spirituellement le moindre petit chrétien est richissime !
Ces dons ne sont pas des trésors à dissimuler jalousement : ils sont les clefs, les forces indispensables pour épargner au monde la catastrophe et pour guider les hommes dans la Vie éternelle. Etant des personnes libres et différentes, nous recevons ces dons dans des mesures inégales mais tous sont destinés à être mis en œuvre pour guérir l’humanité, l’éclairer sur la route et l’accomplir en Dieu.
REDDITION DES COMPTES
Lorsque le Maître revient, son interrogatoire ne suit pas le code habituel de nos livres de morale ou de piété : il porte sur quelque chose auquel nous ne pensons pas suffisamment : la paresse. Qu’as-tu fait de ce tu as reçu ? Comment t’en es-tu servi ? Comment l’as-tu employé ? As-tu été un chrétien efficace, as-tu osé prendre des initiatives ? As-tu considéré ta foi, ta prière, ta liturgie comme des parenthèses pieuses…ou comme des instruments qui recelaient une puissance divine capable de renverser tous les obstacles, de relever l’homme déchu, d’éclairer l’homme désespéré, de réconcilier des ennemis ?...
Il n’est pas exigé que chacun réalise les mêmes effets: certains font plus et d’autres moins et nous n’avons pas à les comparer. Mais celui qui a peu reçu doit, lui aussi, présenter des résultats. Or c’est lui, le pauvre, qui naturellement n’a pas osé risquer. Quand on a peu on a peur de tout perdre. Se voyant moins doué que les autres et écrasé par certains qui réalisent des exploits, le peu doté reste enfermé dans ses doutes. Il se croit humble alors qu’il se protège.
« Oh moi, monsieur le curé, il ne faut rien me demander…Je ne sais rien faire…Je n’ai pas fait d’études… » : que de fausses excuses, que de réticences ! Bien des paroisses n’avancent pas parce que beaucoup ont mis les freins. Ils croient qu’il faut être l’abbé Pierre ou mère Térésa !
Ou bien ils devinent que s’ils engageaient un doigt dans l’engrenage, il faudrait qu’ils négocient un autre style de vie et renoncent à certaines facilités.
Une autre cause de ce lamentable statuquo peut également provenir des prêtres. Parfois ils se contentent de collaborer avec certaines personnes connues, dont ils savent les qualités, dont ils n’encaissent pas les contradictions et ils n’osent solliciter telle autre. Ou bien plutôt que de se risquer près de certains, ils préfèrent accomplir toutes les tâches eux-mêmes.
Un responsable n’a pas à tout assumer, il doit placer l’assemblée chrétienne devant ses responsabilités immédiates. Par exemple, vous les retraités, vous avez été pris par des dizaines d’années de travail professionnel et de responsabilités familiales, vous êtes restés des « pratiquants » inertes qui assistaient à la messe et profitaient du travail des autres. A présent que vous avez du temps et encore une bonne santé, ne comprenez-vous pas que vous devriez assumer telle ou telle tâche ? Vos petits enfants râleraient sans doute que vous leur consacriez moins de temps mais ils s’étonneraient de voir que leurs papys et mamies s’engagent dans des activités paroissiales. « La foi serait-elle donc si importante ? ». L’engagement joyeux de grand père aurait plus d’effet que les homélies du prêtre.
Ne pas prendre sa part dans l’œuvre d’évangélisation, se résigner aux malheurs des hommes sans agir, se contenter d’un christianisme de cérémonies routinières, c’est du coup se retirer de la communauté vivante, c’est basculer « dans les ténèbres extérieures ».
33ème dimanche, année A
- Auteur: Raphaël Devillers
- Date de rédaction: 16/11/14
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : A
- Année: 2013-2014