« Vous ferez cela en mémoire de moi ». Cette phrase, apparemment simple, cache, à mon avis, un trésor infini. Et nous passons à côté, si nous vivons l’eucharistie dans la routine, sans nous y impliquer. Car cette parole de Jésus, à l’indicatif futur: « vous ferez », nous introduit totalement à ce qu’il vit. Elle nous place à ses côtés, non pas comme consommateurs passifs, mais comme acteurs pleinement engagés, aussi engagés que lui, dans ce qu’il fait : « vous ferez cela en mémoire de moi ». A votre tour, vous accomplirez ce même geste, avec tout ce qu’il implique de conséquences et de signification.
Il ne s’agit pas d’un jeu. Il ne s’agit pas d’une simple théâtralisation d’un rite sacré. Il ne suffit pas de lever la coupe de vin et de présenter le pain pour « faire cela », comme il ne suffit pas de marcher pieds nus, avec une tunique longue, en portant la barbe, pour s’imaginer suivre Jésus. « Vous ferez cela en mémoire de moi », cette phrase, vous vous en souvenez, se trouve tout à la fin, quand nous avons fait mémoire de la Pâque et que nous avons consacré le pain et le vin, offerts, partagés, donnés à boire et à manger.
Le souvenir nous introduit, non pas seulement dans un événement passé, mais dans un geste, une action, une dynamique qui se poursuit, en nous, par nous, par notre corps et dans notre corps. Il s’agit d’un banquet qui embrasse l’histoire humaine et qui nous rassasie d’amour donné, offert, reçu, partagé de manière contagieuse et ouverte, à tous ceux qui veulent bien s’y intéresser. Il s’agit d’un rituel, d’un geste codifié, qui se répète à l’infini depuis 21 siècles, sur toutes les parties du globe : une simple petite phrase qui est comme une musique, une invitation à la danse, une initiation à l’amour. Rien de bien compliqué : « vous ferez cela ». Vous prendrez un peu de votre nourriture de base, un peu de pain, « une nourriture qui gain force », comme on dit en Haïti, une nourriture qui donne de l’énergie. Et un peu de vin, une boisson forte elle aussi, fermentée, qui communique joie et même un peu d’ébriété si l’on en prend une bonne quantité… « Vous ferez cela en mémoire de moi », en mémoire d’un dernier repas qui n’en finit pas de se terminer, où le pain devient corps livré et le vin, sang versé, parce que cela a été fait, parce que tout a été accompli, parce que l’amour est allé jusqu’au bout, parce que Jésus a bu la coupe jusqu’à la lie. « Vous ferez cela en mémoire de moi », phrase indissociable de ce qui a suivi, geste qui résume et qui livre le don incroyable de la vie de notre Dieu.
« Vous ferez cela en mémoire de moi ». Nous le percevons bien, cela va très loin, plus loin que simplement lever le coude, un verre de vin à la main, plus loin que faire circuler quelques morceaux de pain. « Vous ferez cela en mémoire de moi », c’est faire ce qu’il a fait, avec la même bonté. Cela paraît simple comme tout, et c’est vrai, c’est simple comme bonjour. Mais c’est faire ce que Jésus a fait, c’est faire ce que nous faisons déjà chaque jour, plusieurs fois par jour, à chaque repas, et qui déjà nous maintient en vie. Mais c’est le faire en mémoire de Jésus, et Jésus est peut être très simple, ce qu’il a fait est pourtant extrême et touche à l’infini, au sublime, à l’absolu. Partager ce pain, boire à cette coupe, devient pour nous un acte de nourriture tout à fait unique, où nous mangeons ce que nous devenons, où nous sommes mangés donc, tout autant que nous mangeons, où nous faisons corps avec celui qui donne son corps, où nous devenons un, ensemble, dans l’esprit qui nous permet de faire ce geste à notre tour, où nous devenons ensemble un même corps.
« Vous ferez cela en mémoire de moi ». La mémoire, celle de l’Esprit Saint, est ce qui nous transforme en lui. Nous devenons lui, nous sommes lui, qui fait à nouveau ce même geste, par nous, en nous et avec nous. Et ce même geste ne s’arrête pas à celui du repas, il signifie, il indique, il englobe les tortures, et la mort qui a suivi, pour culminer dans la résurrection. Ce geste introduit dans une chute et un rebond, une perte et des retrouvailles, une épreuve et un pardon.
« Vous ferez cela en mémoire de moi ». Tout à l’heure, pour vous y associer pleinement, je vous invite à le dire avec moi, à le répéter après moi. Ou plutôt, après lui, avec lui !