Le Corps et le Sang du Christ

Auteur: Didier Croonenneghs
Date de rédaction: 7/06/15
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2014-2015

En revenant de la messe radio ce matin, au cœur d’une verdoyante vallée, j’ai été bloqué en voiture pendant près d’une demie heure… par une procession, des chars de fleurs, des enfants habillés en angelots, des motards de la police, des sousaphones, quelques touristes en short —une canette à la main bien entendu— tous amusés de voir les prêtres en procession, ruisselants sous ce soleil du mois de juin… Vous imaginez le tableau. Il y a des rites qui nous parlent, et d’autres qui ne signifient pour nous pas ou plus grand chose ! Certains se méfient même de cette fête et de sa folklorisation. D’autres se plaignent que nos églises sont vides… enfin certaines… Alors, en cette fête du Corps et du Sang du Christ, prenons un peu de temps pour méditer sur ce mystère qui nous rassemble à chaque eucharistie.

Finalement, nos vies sont parfois comme nos célébrations : elles peuvent être stéréotypées, vécues comme un simple rite à réaliser. Mais combien de personnes au sein au boulot, ou dans leur famille ne font-elles pas aussi les choses simplement rituellement, par devoir, plutôt que par bienveillance ? Beaucoup se plaignent du train train quotidien, mais sont déstabilisés lorsque l’imprévu survient.

Finalement, ce que nous rappelle la fête d’aujourd’hui n’est pas de mettre un peu de vie dans nos eucharisties —même si c’est important—, mais surtout de l’eucharistie dans nos vies. Devenir des êtres humains eucharistifiés ! L’enjeu n’est donc pas tant la pratique —célébrer ce que nous vivons— mais de vivre… afin que nous ayons réellement quelque chose à célébrer.

Et fondamentalement, vivre ce que nous célébrons, c’est mettre de la présence dans nos rencontres, une présence bien réelle. Il y a tant de gens qui attendent que nous soyons pour eux eucharistifiés, c’est à dire que nous soyons réellement présents à leurs côtés, par nos paroles, par notre écoute.
Il y a tant d’humains affamés de paroles, des paroles qui ne sont pas dans le culte de l’ego, de la performance, du paraître. Il y tant de personnes affamées de paroles qui libèrent…

Bartolomé de Las Casas, dominicain espagnol qui prit part à la conquête des Amériques au 16ème siècle, commence son Histoire des Indes, en disant qu’il fut un jour incapable de célébrer l’eucharistie. Il lui fallait d’abord, écrit-il, commencer par libérer les Indiens. Célébrer n’avait pour lui plus aucun sens, si des changements concrets ne s’opéraient pas réellement dans la vie. Il est vrai que nous pouvons être des absences réelles pour nos frères et sœurs, qui ont faim et ont besoin de libération, ceux dont nous oublions de nous faire proche.

Alors, si certains pensent parfois que le cœur de la vie chrétienne se fait dans la célébration, je pense qu’ils se trompent. L’enjeu premier est bien la vie, ce que nos eucharisties viennent ensuite célébrer d’une manière toute particulière, et inscrire dans la mémoire du Père.

Etre eucharistifié, c’est enfin faire mémoire, mais une mémoire paradoxale qui nous plonge non dans le passé, mais nous ouvre tout au contraire un avenir. En effet, le pain pris par Jésus est un pain sans levain. Le levain est ce passé que l’on fait resurgir, que l’on ressasse ou remet au goût du jour. Notre monde occidental à un curieux rapport au temps. Dans un monde tiraillé entre devoir de mémoire et droit à l’oubli, l’eucharistie nous invite à un autre rapport à l’histoire, à notre histoire.

Elle consiste à faire mémoire de tous ces moments de gratuité, de don — non pour nous plonger en arrière— mais pour nous tirer vers l’avant, pour nous montrer que de la nouveauté peut toujours surgir. Alors, chacun de ces instants où nous avons pleinement vécu et été réellement présents, s’inscriront à jamais dans la mémoire aimante du Père.

Que cette fête, loin de toute folklorisation, nous pousse à être réellement présents auprès ceux auxquels nous sommes appelés, et mettre ainsi un peu d’eucharistie dans nos vies, dire à ceux que nous aimons, —par des gestes bien réels— : « Prends, ceci est ma vie ». Amen.