En ce dimanche de la Fête-Dieu consacré au mystère de l’Eucharistie, je voudrais, frères et sœurs, vous inviter à méditer sur ce que nous faisons pendant la communion et réfléchir un peu sur les gestes que nous accomplissons.
Tout d’abord, pendant la communion, nous recevons le Corps du Christ. Ceci me paraît important : nous recevons. J’ai déjà vu ainsi un chrétien prendre dans ses doigts l’hostie que je lui présentais. Bon ! Je n’en fais pas un drame. Tout le monde a des gestes ou des attitudes qui peuvent me paraître admirables ou étonnants. Néanmoins je me permets d’insister sur le fait que nous recevons l’Eucharistie. Et cela n’est pas une invention de vieux vicaire ou de vieux évêques. Dans tous les récits de l’Eucharistie, il est dit que notre Seigneur prit le pain, rendit grâces, le rompit et le donna à ses disciples. Ce sont là les quatre gestes qui sont sans cesse répétés depuis les débuts de l’Eglise : prendre le pain (c’est l’offertoire), rendre grâces (c’est la prière eucharistique), rompre le pain (c’est fait juste avant la communion) et le donner aux disciples. L’Eucharistie, c’est quelque chose, c’est quelqu’un que l’on reçoit. On ne s’empare pas de l’Eucharistie, comme des chiens qui iraient se jeter sur leur proie et la déchiquetteraient. L’Eucharistie, c’est quelqu’un qui nous est offert. Il faut penser à ce qui se passait dans les anciennes cultures. Le chef prenait la bête bien cuite, en découpait les plus beaux morceaux et jetait le reste à ses proches. Ici, Jésus agit comme le maître de maison, qui prend le pain, le découpe et le donne à ses disciples. C’est le partage du pain, c’est le partage de la vie. Et c’est très important pour chacun d’entre nous qui donnons l’Eucharistie. Nous agissons comme le Christ, nous sommes comme le Christ, porté par l’Eglise pour apporter à l’Eglise le pain de vie.
Ça, c’est la première chose importante : nous recevons le Corps du Christ. La deuxième chose, c’est de savoir comment nous le recevons. Depuis Vatican II, nous pouvons le recevoir dans nos mains, croisées. Ce n’est pas une invention de Vatican II, c’est une restauration d’un vieux rite, du premier rite connu dans l’Eglise. Nous le savons grâce à Cyrille, évêque de Jérusalem au quatrième siècle. Cyrille a écrit de très belles homélies pour préparer les adultes au baptême. Il y précise que nous présentons nos mains croisées comme un trône pour recevoir l’Eucharistie. Nos mains sont comme un trône, non pas parce que nos mains sont belles et nobles, mais tout simplement parce que nos mains sont transfigurées par la présence de Dieu. Cela me rappelle cette anecdote : c’était un chef scout qui m’a raconté qu’il avait vu le maire de Lille, qu’il lui avait serré la main et que depuis il ne se lavait plus la main. C’est ridicule, mais cela exprime bien que la présence de quelqu’un d’important transforme les objets qu’il touche. C’est comme le porte-plume que Churchill a utilisé pour signer tel ou tel traité, ou même le lit où la reine Victoria a dormi pendant ses vacances. Tous ces objets sont remplis de la présence de ces personnages historiques. Ici, c’est beaucoup plus beau et beaucoup plus important : nos mains sont transfigurées par le contact avec le Corps du Christ, comme notre corps est transformé par la présence de Dieu dans notre vie. C’est comme pour le baptême : l’enfant reçoit l’onction d’huile sainte. Son corps devient comme un autel, un signe de la présence de Dieu dans sa vie et dans notre vie. On ne fait plus ce que l’on veut de ses mains ni de son corps. Ils sont signes de la présence de Dieu. Nous devons leur permettre, nous devons nous permettre d’être transformés par la présence de Dieu dans notre vie, dans notre corps.
Nous recevons le Corps du Christ, nous le recevons dans nos mains qui sont comme un trône, et nous le portons à tous nos frères et sœurs absents. Cette attention pour les frères et sœurs absents est présente dès la première description de l’Eucharistie. C’est Justin de Naplouse qui, vers 170, explique aux empereurs romains le déroulement de l’Eucharistie chez les chrétiens. Non, dit-il, nous ne faisons rien de mal pendant ces liturgies, nous prions, nous partageons le même pain et nous le portons à nos frères et sœurs absents. Cela veut dire deux choses : que les premiers chrétiens étaient convaincus que ce pain avait une valeur, une qualité toute particulière, au point qu’il fallait que tous les chrétiens puissent en profiter, même ceux qui étaient absents. Il y avait donc déjà à ce moment-là la conviction d’une présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie. Il y avait aussi la conviction que le Corps du Christ est fait pour être partagé et que personne ne peut en être privé. Pourquoi ? Parce que c’est autour du Saint-Sacrement, autour de l’Eucharistie que se construit une communauté. Comme pour une famille le repas du dimanche midi quand tout le monde est rassemblé, la messe dominicale pour une paroisse est le moment de construction, d’édification de la communauté. Nous sommes tous ici rassemblés parce que nous avons tous été appelés par un même Dieu et sauvés par un même Seigneur et que nous voulons tous partager et construire cette joie de l’aimer et de le servir.