Le Corps et le Sang du Seigneur

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2006-2007

La liturgie du Saint Sacrement nous fait entendre l'évangile que l'on appelle "la multiplication des pains"- signe qu'il y a un rapport intime entre toutes les distributions de pain effectuées par Jésus : ici dans le désert, à la dernière Cène et à chaque Messe ( 2ème lecture : 1 Cor 11)

Ce miracle revêt une importance particulière puisqu'il est le seul qui soit rapporté par les 4 évangiles. St Jean fait même de cette scène l'ouverture de sa longue catéchèse sur l'Eucharistie (Jean 6).

On voit d'emblée que l'on ne peut réduire ce texte à une distribution de nourriture aux pauvres et en tirer une exhortation aux gestes humanitaires. Il faut en effet souligner que Jésus n'accomplit cette distribution qu'une unique fois (Marc et Matthieu la dédoublent selon les deux auditoires, juif et païen) et, d'après St Jean, lorsque la foule est accourue le lendemain pour en bénéficier à nouveau, Jésus a vertement refusé : il n'est pas venu se substituer aux boulangers ( ni aux médecins) et il n'ouvre pas un "resto du c½ur". Il faudrait commencer la lecture un peu plus haut. Luc raconte le retour des Apôtres près de Jésus après leurs courses missionnaires : voyant leur fatigue, Jésus les emmène à l'écart. Mais des gens l'apprennent et se mettent à "les suivre" (ce ne sont donc pas des mendiants mais des "candidats-disciples") .

Jésus les accueillit : il leur parlait du Règne de Dieu et il guérissait ceux qui en avaient besoin.

Les évangélistes ont toujours bien soin de préciser que l'½uvre essentielle de Jésus est la prédication du Royaume de son Père. Ce qu'il cherche à obtenir, c'est la conversion, le changement de vie des hommes. Il travaille par la PAROLE. Les bienfaits physiques ne viennent jamais qu'en appui.

La scène évoque manifestement l'exode des Hébreux, tenaillés par la faim dans le désert du Sinaï et découvrant la manne. Ici les Apôtres, excédés par l'arrivée inopportune de tous ces gens, préfèreraient les renvoyer chez eux pour pouvoir pique-niquer à l'aise avec leur Maître. Mais celui-ci les somme de sortir leurs provisions et de nourrir cette foule. " Impossible, se récrient-ils, ils sont plus de 5000 !". Au plan de la nourriture terrestre, l'aporie est totale, c'est l'impasse. Mais il s'agit de passer au niveau d'une autre nourriture, celle que Jésus, seul, peut offrir.

"Le jour commençait à baisser" : la notation n'est pas banale. N'est-ce pas également le soir que Jésus instituera son Eucharistie, que les disciples d'Emmaüs inviteront Jésus à entrer dans leur maison où il fractionnera le pain et que les premiers chrétiens se réunissaient pour la Messe ?

Jésus donne un ordre curieux dans sa traduction exacte :

Jésus dit à ses disciples : ( Non : "faites-les s'asseoir" mais) " Faites-les s'étendre par lits " ( ??? )

Le verbe ne peut s'appliquer dans ce lieu désertique mais il convient pour ceux qui seront invités plus tard à se réunir dans un local afin de partager le Repas du Seigneur (coutume grecque des repasau temps de Luc)

"...par groupes d'une cinquantaine".

Cette exigence rappelle encore le temps de l'exode : la foule disparate des Hébreux devait être mise en ordre au moment de recevoir la Loi de Dieu au Sinaï (Exode 18). De même, lorsque les fidèles se rassembleront pour l'Eucharistie, il y aura de l'ordre. Dans une société tiraillée par les intérêts divers des membres, la liturgie doit s'effectuer dans la paix, la tranquillité où chacun trouve sa place. Toute rivalité, toute compétition est exclue.

Que la scène prophétise l'Eucharistie, cela devient tout à fait net à la phrase suivante qui est celle-là même de la Dernière Cène et que le prêtre répète encore à chaque célébration eucharistique :

Jésus prit les 5 pains et les 2 poissons, et levant les yeux au ciel, il les bénit, les rompit, et les donna à ses disciples pour qu'ils les distribuent à tout le monde.

La succession des verbes est importante :

Jésus prend : par eux-mêmes, les hommes demeurent impuissants à s'offrir une nourriture qui les rassemble dans la paix. Il faut donner nos biens au Christ pour qu'ils nous "reviennent" transfigurés par Lui.

Levant les yeux au ciel, il les bénit : dans une attitude de prière, d'appel à son Père "qui est dans les cieux", Jésus prononce la bénédiction. Luc (seul ) note qu'Il "bénit les aliments" alors que le geste normal est de "dire la bénédiction", c'est-à-dire de rendre grâce pour ce pain qui devient ainsi un don du ciel. A la Cène, Luc écrira "il rendit grâce" - avec le verbe "eucharistein".

Il les rompit : (idem à la Cène, et à Emmaüs) l'Eucharistie des 1ers chrétiens s'appellera "la Fraction du Pain" pour que les invités au repas du Seigneur comprennent, par le geste même du rite, qu'ils sont des "morceaux", des "fragments" qui, en consommant LE Pain du Christ doivent comprendre qu'ils deviennent UN. L'Eucharistie est le remède à leurs divisions, elle est partagée justement afin que la foule égaillée du début soit un peuple organisé, uni, en communion avec le Christ qui le nourrit de sa Vie et où l'on est, du coup, membres les uns des autres.

Il les donna aux disciples : le Pain (fabriqué par les hommes) doit être reçu comme un cadeau offert par Jésus et transmis par les Apôtres et leurs successeurs..."pour qu'ils les distribuent à tout le monde". On ne peut pas "se communier". On dépend de l'Eglise.

Tous mangèrent à leur faim : car ce Pain, si menue soit la portion, nous comble - au contraire des nourritures terrestres (aliments ou idéologies) qui, si succulentes et intéressantes soient-elles, resteront toujours impuissantes à apaiser notre désir de Dieu.

Et l'on ramassa les morceaux qui restaient : cela remplit 12 paniers. Le Repas du Seigneur n'est jamais clôturé : il s'ouvre sur l'avenir. Il y a toujours du surplus : on gardera les restes pour apporter l'Eucharistie aux malades. Et les Apôtres pourront l'offrir aux foules d'affamés qui viendront des quatre coins du monde pour se nourrir de la Parole et du Pain eucharistié.

Les deux lectures - de Paul et de Luc- se complètent magnifiquement et nous permettent d'entrer davantage dans ce mystère de l'Eucharistie. Si, hélas, elle est abandonnée par des multitudes, nous ne pouvons nous y résigner et accuser "les autres".. Il nous revient de nous interroger sur notre pratique. Entrons-nous dans le monde du partage ? Courons-nous au rassemblement convoqué par le Seigneur ? Avons-nous faim de sa Parole, de son Pain ? Chantons-nous avec allégresse notre joie d'avoir découvert un berger dans notre désert ? Le Pain du Christ nous libère-t-il des fausses avidités excitées par notre monde ? La foi nous comble-t-elle ?...