Le jour baisse. La nuit tombe. L'obscurité s'installe au désert et l'inquiétude également. Les douze se demandent que faire pour nourrir cette foule ? "Renvoie-les" disent-ils à Jésus. "Ils pourront aller dans les villages pour y loger et trouver de quoi manger. Ici, nous sommes dans un désert."
Nous aussi, comme les douze et les disciples, nous avons écouté souvent sermons et homélies sur le Royaume de Dieu. Et nous y avons cru. Et voilà que maintenant, tout à coup, nous ne voyons plus clair. L'obscurité s'installe aux déserts de nos vies ! Tant de questions se posent.... Que va-t-on devenir ? Quels seront nos vieux jours ? En l'an 2002, l'Etat pourra-t-il encore payer les pensions ? Avec l'Euro que vont devenir nos économies personnelles ? Pourra-t-on encore soigner tout le monde et mettre à la disposition de tous ces traitement coûteux qui prolongent la vie ou guérissent les cancers ? Ne va-t-on pas bientôt régionaliser la sécurité sociale ? Les pauvretés et les misères risquent alors d'augmenter chez nous et de multiplier toutes les violences qu'elles entraînent. ! Quelle terre sera pour nos enfants ? Avec le réchauffement de la planète et les déchets nucléaires dont on ne sait que faire ! N'auront-ils à manger que de la viande aux hormones ? Quelle eau boiront-ils ? On voudrait des réponses, des sécurités et il semble que Dieu reste muet.
Alors tous les bons apôtres ont cru pouvoir nous répondre : "Allez dans les fermes des environs, trouver de quoi manger et de quoi vous loger" ! "ce n'est pas notre rôle à nous de nous préoccuper de cela. Nous, nous sommes témoins d'un autre monde. Nous prêchons le ciel. Le paradis n'est pas sur terre". Ainsi, ils nous ont affirmé que le bonheur n'était pas pour maintenant mais pour plus tard. Et ils ont ajouté : "Notre pain à nous, c'est celui du ciel, pain et vin consacrés où Dieu se rend présent. Adorez-le, à genoux, devant le Saint Sacrement. Priez beaucoup pour mériter la vie éternelle que Dieu promet à ceux qui mange de ce pain-là" "Pour le reste, allez voir ailleurs chercher votre nourriture quotidienne. Dans le monde, il faut que chacun se débrouille, qu'il travaille et tire son plan. C'est la loi aujourd'hui : que le meilleur gagne" Et je me suis demandé : serait-ce là vraiment le temps de l'Eglise ?
Dans l'évangile de ce jour, nous voyons Jésus lui-même réagir. Il impose aux disciples de s'occuper réellement de ces questions matérielles : "Donnez-leur vous-mêmes à manger". Pour Jésus, il n'est pas question de renvoyer la foule. C'est au douze à faire le nécessaire pour la nourrir !
Alors ces derniers protestent : "mais nous n'avons pas plus de cinq pains et deux poissons... à moins d'aller nous-mêmes acheter de la nourriture" Mais Jésus va les obliger à donner eux-mêmes en partage ce peu de nourriture qu'ils possèdent. "Faites-les asseoir par groupes de cinquante." Et les apôtres ont réparti la foule par groupes d'environ 50. Comme ils étaient 5.000 personnes, cela fait une centaine de petites communauté où l'on se distribue les pains et les poissons, où chacune et chacun partage avec les autres le peu qu'il a, où dans la joie, toute eucharistie est geste de partage si humble soit-il !
Le temps de l'Eglise est donc le temps où chaque groupe chrétien, chaque petite communauté constituée, qu'elle soit paroisse, équipe, communauté religieuse ou simple groupe, doit se préoccuper de partager les biens élémentaires à l'existence. La vie éternelle, le bonheur profond apporté par Jésus, le royaume de Dieu, commence toujours ici-bas par ce partage, par cette répartition entre tous des richesses matérielles indispensables à la vie digne, de manière à ce que tous les membres de la communauté aient de quoi vivre décemment.
C'est aussi ce que nous enseigne l'apôtre Paul dans la seconde lecture. Il est nécessaire de la remettre dans son contexte. Paul rappelle, comme venant du Seigneur, la manière de faire mémoire de sa mort et de sa résurrection. Mais c'est pour reprocher aux Corinthiens leur façon scandaleuse d'agir dans leurs réunions. Leur conduite n'est pas conforme à la volonté du Christ qui veut qu'en frères on partage les biens nécessaire à la vie. En effet, à Corinthe, tandis que certains mangent abondamment, d'autres ont faim et après ce scandale, tous ont l'audace de célébrer le rite de la Cène. En fait, "Ils mangent et boivent leur propre condamnation."
Deux remarques pour terminer :
1) Pour raconter la multiplication des pains, l'évangéliste utilise la même formulation que pour décrire la cène du Jeudi-Saint.
Comme la veille de sa mort, Jésus prend le pain, et les yeux levés au ciel il prononce la bénédiction. Ensuite il rompt les pains et les donne aux disciples, pour que ceux-ci les partagent avec la foule. C'est bien montrer le lien existant entre ce partage de la nourriture et l'Eucharistie. IL est donc impossible pour nous de célébrer l'Eucharistie sans partager nos biens avec ceux qui autour de nous sont dans le besoin.
2) Quand on partage, il y en a toujours de trop. Ainsi, après le partage des pains et des poissons, on ramassa les restes. Les disciples remplirent douze paniers avec tout ce qui restait. Il y en avait donc bien de trop !
Quand on veut garder tout pour soi, on a toujours peur de ne pas en avoir assez. Alors on amasse sans cesse, dans la crainte d'en manquer à l'avenir. Mais quand on accepte de tout partager, il y en a beaucoup trop. Chacun voulant être délicat, fait attention à l'autre et ne prend que ce qui lui est nécessaire absolument maintenant. De ce fait, il en reste toujours.